Hyacinthe Rigaud,
Louis XIV en costume de sacre,
1701, huile sur toile, 277 x 194, Département des Peintures, Musée du Louvre, Paris.
Introduction
Hyacinthe Rigaud et la commande du Roi Soleil
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Jacinto Rigau y Ros, dit Rigaud (
1659 – 1743), peintre et courtisan à Versailles, a commencé sa carrière de portraitiste à Paris en 1681 alors que Louis XIV règne seul depuis 20 ans et est a l'apogée de son règne.
¤ Ce Catalan, né à Perpignan au moment où la France annexe le Roussillon, travailla dans l'atelier d'Antoine Ranc qui lui fit découvrir l'art de Van Dyck (considéré comme le Van Dyck français juste après sa mort). Il fit ses études à l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Il s'est spécialisé dans l'art du portrait, étant à l'aise dans les portraits éclatants et somptueux, ambitieusement mis en scène. Dans son atelier, il y a plusieurs peintres spécialisés (dans les drapés, les fleurs…) et lui peaufine les visages.
¤ Un grand portrait d’archevêque le fait remarquer en 1685 par de hauts personnages de la cour. Rapidement Monsieur, frère du Roi (Philippe d'Orléans), et toute l’aristocratie lui passent commande. En
1695, Louis XIV pose une première fois pour lui en armure.
¤ En
1700, il devient académicien (membre de l’ « Académie de peinture et de sculpture », fondée par Mazarin en 1648. Les artistes qui en font partie sont donc reconnus par le pouvoir royal) et exécute, l’année suivante sa composition la plus célèbre qu’est le portrait en pied de Louis XIV en costume de sacre.
« La vérité brillait dans tout ce qu’il faisait […]. Rigaud savait donner à
ses portraits une si parfaite ressemblance, que du plus loin qu’on les
apercevaient, on entrait pour ainsi dire en conversation avec les personnes
qu’il représentai ». – d’Argenville, un de ses clients. –
¤ Ce tableau soulève deux aspects : la représentation d'un roi, et un roi de représentation.
¤ Comment ce portrait d'apparat permet-il la transsubstantiation d'un individu en monarque absolu ?
Analyse formelle
* Format rectangulaire, très grande dimension (277x194, influence sur le spectateur).
* Personnage sur une estrade > éloignement.
Personnage encadré par rideaux (on ne sait pas comment il tient), colonne et tabouret.
* Fond obstrué par le rideau et colonne antique. Lieux visible seulement sur la droite > intérieur mais indéterminé. L'architecture est reléguée au profit des objets.
* Personnage au centre de la composition, en pied et presque sur toute la surface > le regard se porte d'abord sur lui, puis sur ce qui l'entoure.
Opulence des drapés, posture solennelle du personnage attire le regard.
* Inclusion du spectateur : regard du personnage, incite à le regarder.
* Lumière de face, de source inconnu : illumine le visage et l'habit du personnage > le met en valeur.
* Couleurs majeure : blanc (monarchie, royauté), or (richesse, distinction sociale), pourpre (pouvoir), bleu.
Rendu des matières : marbre, velours, dentelle, perruque…
* Repentir : sangle sous le genou.
* Inscription sur base colonne : "Peint par Hyacinthe Rigaud /
1701 –".
I - Un portrait souvenir
¤ Commandé par Louis XIV pour être offert à son petit fils, le duc d’Anjou, qui vient de partir pour l'Espagne dont il devient le Roi sous le nom de Philippe V (décembre
1700). Il avait lui-même posé pour l'artiste l'année précédente.
¤ Louis XIV (1638 – 1715) fut Roi de France de 1643 à 1715. Ayant connu les troubles de la Fronde durant son enfance, il chercha durant tout son règne à maintenir l'unité du royaume et à écraser les velléités de pouvoir de la noblesse. En
1661, à la mort de Mazarin, il débute un règne brillant, exerçant un pouvoir absolu mais en sachant s'entourer de gens fidèles. Le monarque assura un brillante politique culturelle (Molière, Lully, Lebrun…) dont l'aboutissement est le château de Versailles. En effet dès son enfance, lors de son éducation, il n'est pas un élève très travailleur mais suivant l'exemple du grand collectionneur d'art qu'était Mazarin, il se montre très sensible à la peinture, l'architecture, la musique et surtout la danse. Après l'arrestation de
Fouquet, suite à la fête du 25 août
1661, le roi semble vouloir imiter sa vie fastueuse et se comporte dès lors en grand mécène et patron des arts en finançant les grandes figures culturelles de l'époque.
¤ Ce portrait fut tellement apprécié par le Roi, qu'il décida de le conserver et demanda à Rigaud d'en faire une copie pour le Roi d'Espagne. Il en fut fait un grand nombre de copies, consacrant le tableau en véritable portrait officiel. Le portrait laisse place à la représentation. Dans un dictionnaire du 17e, on définit la représentation comme une "image qui nous remet en idée et en la mémoire des objets absents" ou "remplacer quelqu'un".
¤ Exposé au salon de
1702. Le Mercure Galant (journal fondé en 1672 qui donnait toutes les nouvelles mondaines) en février de la même année écrit à ce sujet : "On a exposé le Portrait du Roy dans le grand Appartement de Versailles. Il est en pied avec l'Habit Royal. Cet ouvrage est de Mr Rigaud. Jamais portrait n'a été mieux peint ni plus ressemblant. Toute la Cour l'a vu, et Tout l'a admiré. Il faut qu'un Ouvrage soit bien beau et bien parfait pour s'attirer un applaudissement général dans un lieu où le bon goût règne, et où l'on est pas prodigue de louanges […]".
¤ Il fit partie des collections de Louis XIV, demeura ensuite dans les collections royales, avant d'entrer en
1793 au Museum central des arts de la République, futur Musée du Louvre. Il est aujourd'hui toujours conservé au musée du Louvre et une copie remplace l’original à Versailles.
¤ Chaque détail du tableau vise en effet à en faire l'image quintessenciée du pouvoir absolu : noblesse du décor antiquisant, rideau de pourpre, solennité du Roi Soleil vêtu du costume de sacre fleurdelisé.
II – Une mise en scène très étudiée
A / Louis XIV, metteur en scène du pouvoir royal
« Il n’est pas bien nécessaire qu’un prince possède toutes les bonnes qualités,
mais il l’est qu’il paraisse les avoir » - Machiavel, Le prince. –
¤ Conservé à Versailles dans le salon d’Apollon, c'est-à-dire la salle du trône. Elle est donc au centre de l’édifice, lui-même au centre de la France et lieu principal du culte monarchique : assurance que chacun puisse admirer sa personne et surtout rappel de l’étendue de la puissance royale > outil du gouvernement au centre du système absolutiste français.
¤ La pose est étudiée : le Roi est au centre du tableau, il occupe presque tout l'espace. Il porte son regard sur le spectateur, c'est-à-dire son sujet. Il est aussi plus grand que nature (il fait 1m61 dans la réalité) et debout sur l'estrade ce qui participe à la fabrication de la magnificence royale, à l’élévation, voire à la divinisation de sa personne.
¤ Rigaud a alors recourt à des effets théâtraux :
·Le rideau pourpre : couleur de la majesté depuis l’Antiquité. Rigaud était un virtuose des tissus, il affectionnait particulièrement les drapés froissés, les rideaux chatoyants dans des contrastes d'ombres et de lumières, qui révèlent les textures. Evocation d’une scène dans laquelle se laisse timidement deviner le trône. La vie du roi fut une perpétuelle représentation de son Lever (8h) à son Coucher (23h) et cette théâtralisation du pouvoir à Versailles devint une arme du gouvernement afin de domestiquer la noblesse et de glorifier la personne royale.
Il forme aussi un cadre à la personne du Roi avec sa forme de baldaquin. Il renvoie dès lors à l’image d’une chambre, celle du Roi et donc à son palais : Versailles (grandeur de la royauté française). Pour Félibien (Description sommaire du château de Versailles) ce palais s’avère d’ailleurs rayonner sur le monde entier : « la présence du Roi en ce lieu limité, sa demeure est éminemment toute la Terre. ».
·La confusion des styles : la couronne incarnant la majesté est posée sur un simple tabouret. Aussi Louis XIV tient son sceptre à l’envers et s’appuie dessus comme sur une simple canne… On peut alors en tirer deux enseignements : le Roi montre qu’il incarne la majesté et que sa seule présence suffit à magnifier le meuble le plus ordinaire ; et il démontre que lui seul a suffisamment de grandeur pour pouvoir se comporter « sans affectation » en présence des regalia.
·Le pas de danse : Louis XIV fut un excellent danseur tout au long de sa jeunesse. Néanmoins, en
1701, le Roi entame sa 63e année. Son visage est alors celui d’un vieil homme, il vieillit voir se momifie : on parle de l'embaumement du roi dans ses dernières années à Versailles, le roi ne se montre presque plus à la cour et presque jamais à Paris, il reste enfermé avec son épouse et devient confie de moralité et ombrageux. Il n’y a aucune concession d’âge ici. L’œuvre exhibe cependant des jambes de danseurs et au-delà d’un excès de coquetterie il faut ici distinguer les 2 corps du Roi, ce qui est nouveau dans les 20 dernières années de son règne : le Roi physique, réel (vieux > visage) et le Roi symbolique, imaginaire, immortel qui assure la continuité de l’Etat (« Le Roi est mort vive le Roi »). Ce dernier corps prenant le dessus à la fin de sa vie. Au-delà de la nostalgie de sa jeunesse il faut y voir un dogme de la politique française : « les Rois ne meurent jamais ». N’oublions pas que « L’Etat c’est moi ! » (roi meurt, Etat meurt) n’a jamais été prononcé mais que ses derniers mots furent « Je m’en vais mais l’Etat demeurera toujours ».
¤ Pourquoi cette mise en scène ? Le Grand Roi y répond lui-même : « les peuples […] se plaisent aux spectacles. Par là, nous tenons leurs esprits et leurs cœurs ». Ce tableau à travers cette mise en scène est donc une arme politique qui donne au monarque un pouvoir sur les esprits, composante importante de l’absolutisme. L'absolu se montre et se signifie dans la vérité monumentale de sa gloire éclatante, ici mise en scène.
¤ Par rapport à cette théâtralité on peut concevoir Louis XIV se représentant lui-même comme il jouait délibérément le rôle d'un roi. A ce sujet un noble italien ayant fait partit de la cour vers 1670 explique dans ses Mémoires que lorsque le roi était dans sa chambre avec peu de courtisans, il perdait sa gravité mais si la porte de la chambre s'ouvrait "il composait aussitôt son attitude et prenait une autre expression de figure, comme s'il devait paraître sur un théâtre".
¤ Le Roi disposait-il de pouvoirs étendus habilement mis en scènes ou avait-elle le rôle de dissimuler une impuissance politique ?
B / La concentration des pouvoirs dans la personne du roi : "Tout l'Etat est en lui" – Bossuet
¤ Le Roi en costume royal, portant les regalia, instruments du sacre (remis par l’archevêque de Reims le 16 juin 1654, 16 ans), et symboles de ses pouvoirs est une figure récurrente du Roi de France. Depuis François Ier, ils se sont tous faits représentés ainsi. Cela permit à Louis XIV d'afficher la tripartition des pouvoirs : le Roi de guerre, de justice et de gloire.
¤ Le pouvoir exécutif :
·Le sceptre : symbole du pouvoir de vie et de mort du Roi, prolongement de la main droite (de l'action, de l'exécution) du Roi, il donne le chemin à suivre.
·L'épée : la "Joyeuse", rappel le statut de chef des armées, de combattant pour la gloire de Dieu du Roi. Il en est son bras armé devant protéger les fidèles en garantissant la justice.
¤ Le pouvoir législatif :
·L'or et le pourpre : privilège rare qui nécessitait une autorisation pour porter une tenue brodée d'or ou d'argent. L'or sur le costume de sacre rappelait à tous que le Roi agit "selon son bon plaisir" et qu'il est au dessus des lois. Le monarque, source de tout privilège, est source de toute loi ("c'est légal parce que je le veux").
¤ Le pouvoir judiciaire :
·La main de justice : la justice royale, toute justice en France est rendue par le Roi.
·Le bas relief : déesse Thémis, fille d'Ouranos et de Gaïa, prodiguant à Zeus des conseils avisés. Allégorie de la justice (balance dans sa main), incarne l'ordre établi (épée dans l'autre main). Fonction d'arbitre du Roi.
¤ On peut également y voir la supériorité d'un Roi par rapport à son royaume :
·La couronne : fermée sur le modèle impérial depuis François 1er. Ni l'Empereur, ni le pape n'avaient autorité sur le Roi de France. Elle montre que le roi est empereur en son royaume et le peuple y doit fidélité.
·La perruque et les talons rouges : traduit physiquement cette supériorité. Autre pouvoir du monarque : celui de lancer les modes.
¤ Ces tableaux sont reproduits à plusieurs exemplaires et sont offerts aux alliés ou déposés dans les ambassades. A ce titre, le rapprochement avec les photos officielles des présidents peut être fait. Ce média est par ailleurs très important car les reproductions amplifiaient la visibilité du roi.
Mais le portrait du Roi, accroché dans la salle du trône de Versailles possède le caractère sacré de son modèle. Il est traité comme s'il était un substitue du roi. Lui tourner le dos est un délit au même titre que tourner le dos à la personne du Roi.
C / Le roi de France, monarque de droit divin
"La toute puissance vient de Dieu. Les princes agissent donc comme ministres de
Dieu et comme ses lieutenants sur Terre. C'est par eux que Dieu exerce son
empire. C'est pour cela que le trône royal n'est pas le trône d'un homme mais le
trône de Dieu même. Il ressort de tout cela que la personne des rois est sacrée,
et qu'attenter sur eux, c'est un sacrilège. On doit obéir au Prince par principe
de religion et de conscience" – Bossuet (précepteur du roi de 1670 à 1679),
Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture Sainte, 1709 –
¤ Le Roi disposait de tous les pouvoirs. Il fallait que sa légitimité soit forte pour lui assurer une telle concentration de pouvoirs. Des détails rappellent donc l'origine de son pouvoir absolue qui lui fut donné par Dieu, dont il était le fidèle lieutenant sur Terre le jour du sacre (il y reçoit l'onction sacrée, il est nommé par Dieu en ce jour) :
·Le collier de l'ordre du Saint Esprit : distinction la plus élevée de la Cour de France depuis
Henri III. Le Saint Esprit garantissait au Roi le suivi d'une politique sage et réfléchie. La colombe renvoie à la cérémonie du sacre au cours de laquelle elle descend symboliquement du ciel pour la Sainte Onction. Le roi devenait l'"oint du seigneur", sacré et donc inviolable.
·L'épée : posée sur l'autel lors de la cérémonie, elle était prise par le Roi, considéré ainsi comme recevant son pouvoir de Dieu. Sa forme de croix rappelle les devoirs de chrétien de son porteur ; et sa longueur son obligation à se tenir à distance du diable.
·La fleur de lys : elle symbolisait la Sainte Vierge avant d'entrer dans les armoiries de la monarchie française sous Louis VII. Ses 3 pétales peuvent être reliées à la Trinité.
·Le sceptre : Rappel la Pentecôte (50 jours après Pâques, descente de l'Esprit Saint sur les apôtres). Comme les patriarches de l'Ancien Testament, celui qui porte ce bâton est désigné par Dieu pour guider le peuple. Le roi guide donc l'ensemble de ses sujets au cour de son règne.
·La main de justice : elle se compose d'un bâton d'or et d'un main en ivoire. Cette main symbolise la bénédiction du roi sur ses sujets. Chaque doigt représente un symbole :
Ø Le pouce : Dieu, la divinité.
Ø L'index : la Raison (la ratio, séparant l'Homme de l'animal).
Ø Le majeur : la Charité.
Ø Les deux autres : repliés, représentent la Foi et la Pénitence.
¤ Ces symboles présents lors de la cérémonie du sacre, sont là pour montrer les principales fonctions royales au point de vue liturgique.
¤ Tous ces détails rappellent que Louis XIV tirait son pouvoir de Dieu et qu'à ce titre il était absolu et incontestable.
A / Mélange de réalisme et d’idéalisation
¤ Ce portrait d’apparat emblématique est aussi un portrait mélancolique, tourné vers le passé. Le tableau est donc moins traditionnel qu'il peut en donner l'impression. C'est un habile compromis entre des tendances opposées.
¤ Le visage est celui d'un homme âgé, aux yeux fatigués et à la bouche affaissée (extraction des dents supérieures en 1685). Le Roi n'est pas immortel, il vieillit et sa longévité devient même un élément de sa grandeur. Son visage est grave, le sourire est proscrit mais il s’efforce de donner à son visage empâté le port de tête du danseur solaire qu’il fut.
¤ Le poids des ans paraît par contre épargner le corps du monarque. Alors que dans la réalité le Roi souffre de la goutte et de bien d'autres maladies, le tableau donne l'image d'un corps jeune, aux jambes élégantes, esquissant un pas de ballet, nostalgie du temps où Louis dansait en brillant mécène au zénith d’une cour nouvelle.
¤ Il y a un équilibre entre solennité et décontraction. Le roi porte les habits de couronnement, avec ses attributs royaux (couronne, épée, sceptre), symboles de son pouvoir. Mais Louis XIV se voulait aussi être un monarque moderne suivants les critères en rigueurs à l'époque, il est premier gentilhomme du royaume et a une décontraction étudiée. Le sceptre est tenu à la manière d'une canne, pointe vers le bas comme celle qu'il tenait en public (on peut y voir une allusion au portrait de Van Dyck de Charles 1er, où le roi fait un geste du même type avec sa canne) ; le Roi porte l'épée de Charlemagne comme une épée ordinaire et seul la garde est visible ; et la main de justice est posée discrètement sur une chaise, aux côtés de la couronne.
¤ Le manteau de sacre est ouvert et laisse voir des vêtements modernes pour l'époque. Cette représentation est éloignée de la tradition médiévale du Roi en majesté sur son trône donne l'image d'un souverain moderne. Le traitement des étoffes est particulièrement raffiné et rappel la grandeur du règne du Roi.
¤ L’atelier du peintre a dû intervenir sur certaines parties de ce tableau mais le visage a été étudié avec réalisme et noblesse par Rigaud lui-même (visage peint sur un papier marouflé sur la toile définitive). Le Roi porte légèrement sa dignité, tout en paraissant (comme l'écrit un ambassadeur vénitien en
1699) "majestueux dans son aspect […] objet de crainte et de respect pour tout le monde".
¤ Rigaud, peintre attitré du Roi, a su savamment concilier gloire rêvée et déchéance réelle. Ce mélange de mythologie et de réalisme pourrai renvoyer à une notion de la monarchie française depuis le Moyen Age, celle des deux corps du Roi : le Roi symbolique (digne, incorruptible, éternel et sacré) et le Roi physique/individuel (mortel, humain, sujet de toutes les misères et des passions de la nature).Cela peut aussi se référer à deux moments de la course de l’astre solaire : l’aurore et le crépuscule. En effet, en
1701 le Roi a 63 ans, il est meurtri par la goutte et a perdu beaucoup de charisme sous le poids des déconvenues, le Roi ne danse plus, il prie.
B / Un portrait d'apparat au siècle de la représentation
¤ Le XVIIe français est source de diverses productions philosophiques, littéraires et artistiques. Il s'est alors lui-même considéré comme le siècle de la représentation. Par la même il y a une théorie générale et raisonnée du signe et du discours qui se met en place et les œuvres peintes tournent nécessairement autour de cette notion centrale de la représentation. En même temps le 17e est le siècle de Louis XIV où le pouvoir d'état se construit et se pense dans "le modèle français de l'absolutisme" (Mandrou, historien).
La représentation a alors ici pour effet de produire un sujet historique et un sujet qui fait l'histoire. Le roi, référent réel, devient dès lors dans le portrait un symbole (son nom) et une chose imaginaire (son effigie).
Le portrait en tant que genre à part entière est mal connu pour la première moitié du règne de Louis XIV. On a cependant une abondance de gravures et d’effigies d’artistes.
¤ Le portrait est souvent un message personnel destiné à un ou peu de spectateurs. Mais beaucoup sont destinés à un large public, peints pour dominer la pièce et s'adresser à la foule.
¤ Le portrait "d'apparat" proclame la grandeur d'un modèle et sa supériorité. En plus d'attirer l'attention, la taille même de ces portraits exige un décor grandiose et sont destinés à des salles publiques.
¤ Certains artistes ont tentés d'assouplir les normes du portrait d'apparat. Ainsi Van Dyck, peint le roi Charles Ier sans signe évident de sa royauté : il porte un costume de chasse à l'élégance aristocratique et il est arrêté au seuil de la forêt sans doute pour regarder le paysage…
Même si à bien y regarder, le code relatif à la royauté sont présents : main sur la hanche, épée, bâton de commandement…
Alors que Philippe de Champaigne visait surtout à exprimer le caractère de son modèle en peignant Richelieu, ici Rigaud vise à mettre en valeur la fonction et la puissance de Roi-Soleil.
¤ On a ici un art du portrait où l'image est un précieux instrument du pouvoir. Le portrait du roi c'est précisément donner figure à l'"irreprésentable".
¤ Drapé de son costume royal, le monarque absolu nous domine du haut des 3m de son portrait d'apparat. La pompe de la représentation correspond à une exaltation de la nature et des pratiques du pouvoir absolu.
¤ L'image que renvoie le roi importe donc davantage que sa présence physique, puisque ordonner "au nom du roi" suffit pour se faire obéir. C'est l'effigie qu'on adore et non plus la personne privée.
Dans la dernière partie de son règne l'image du corps symbolique du roi se glisse entre ce dernier et ses sujets : le monarque n'est plus au milieu de ses sujets, il lui est représenté.
¤ Le tableau ne cherche pas à dépeindre le portrait d'un homme âgé, mais à figer le roi pour l'éternité.
Le tableau est exposé au salon de
1702 et dépasse vite les limites de la cour et survit à l'Ancien Régime. Il est devenu une référence de la monarchie absolue.
Avec la "liberté guidant le peuple de Delacroix", c'est le tableau le plus reproduit dans les livres d'Histoire, cela est donc une icône nationale admise comme telle depuis sa création.
BIBLIOGRAPHIE :
¤ APOSTOLIDES (J.-M.), Le roi-machine – spectacle et politique au temps de Louis XIV, les éditions de minuit.
¤ BURKE (P.), Louis XIV – les stratégies de la gloire, Point Histoire.
¤ MARIN (L.), Le portrait du roi, Paris, Minuit,
1974.
¤ PERRAU (S.), Hyacinthe Rigaud, le peintre des rois, Les presses du Languedoc, Montpellier,
2004.
¤ SCHNEIDER (N.), L'art du portrait, Taschen,
2002.
¤ TOMAN (R.), L'art baroque, Hf – Ullmann, 2007.