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Les maisons de plaisance royales sous Louis XV :
Ange-Jacques Gabriel, Petit Trianon, Versailles, 1762-1764.
Ange-Jacques Gabriel (1698 – 1782) succède à son père en 174, au poste de Premier Architecte du Roi. Ses œuvres majeures furent l’Opéra et les ailes qui flanquent le château de Versailles, les deux palais de la place de le Concorde ou encore les agrandissements du château de Compiègne.
Louis XV, dans les premiers temps de son règne délaisse Trianon. Mais dès 1750, il lui donne une nouvelle vie en faisant aménager un jardin expérimental et un nouvel appartement afin de pouvoir travailler au milieu de ses fleurs et de ses serres chaudes. Il fait en effet construire le Pavillon Français (« salon de compagnie »), le Pavillon Frais (« salon frais ») et la Nouvelle Ménagerie (ferme aujourd’hui disparue où étaient sélectionnées différentes espèces d’animaux domestiques).
En 1763, le Roi demande à Gabriel d’y édifier un nouveau pavillon qui soit assez vaste pour lui permettre d’y séjourner : Le Petit Trianon.
Ce dernier est alors édifié de
1762 à 1768, dans ce coin reculé du domaine, à l’initiative de Madame de Pompadour et de son frère, le marquis de Marigny.
Quelles spécificités apporte Gabriel au plan du Petit Trianon ?
« Désennuyer le Roi » (Madame de Pompadour).
Enfant, Louis XV disait : « J’aime tant Trianon », il s’agissait alors du Grand Trianon, mais jusque dans les années 1750, le Roi délaisse cette partie du domaine (au Nord-Ouest du château).
C’est grâce à celle qui fut sa favorite, et bien qu’elle ne le fut plus, demeura son amie, Madame de Pompadour s’il y retourne, aimant se promener à ses côtés dans le jardin botanique ou les serres, que le fameux savant Bernard de Jussieu vient d’installer. Le Roi y classe ses herbiers (dans le Pavillon Français) ou y prend une collation (dans le Pavillon Frais destiné à déguster les produits de la Ménagerie et du jardin potager entourant le Pavillon Français, aujourd’hui jardin d’agrément).
Le Roi s’offre en effet de nouveaux lieux de plaisirs, avec l’extension de Trianon, répondant à son intérêt pour la zoologie et surtout la botanique.
La création d’un véritable petit château de plaisance où le Roi pourrait séjourner avec quelques privilégiés est la destination du Petit Trianon, initialement appelé « nouveau Trianon ».
Il s’agit alors d’un lieu de refuge à l’écart de la vie de Versailles, où se trouve la cour depuis 1682.
Gabriel propose un premier projet en 1761 mais celui-ci n’est pas retenu. Il en propose un second l’année suivante en reprenant l’ensemble des éléments du premier projet, mais en les simplifiant et en les magnifiant. Ainsi, par exemple, la façade passe de trois à cinq travées, permettant une distribution plus large et une hiérarchie des espaces plus marqués.
Les travaux du Pavillon du Roy, tel qu’il est nommé, débutent en
1762. Le gros œuvre de la construction s’élève de 1763 à 1764 et l’édifice est couvert en 1764. Quant à l’intérieur, pour la sculpture, la menuiserie, la serrurerie et la peinture, le travail se poursuite de
1765 à 1768.
Ainsi, Madame de Pompadour, qui argumenta en faveur de la construction d’une demeure à Trianon, ne le vit jamais terminé, décédant en 1764. Le pavillon ne sera, réellement inauguré que cinq ans plus tard en 1769, par le Roi Louis XV et la comtesse du Barry, nouvelle favorite.
Pour ce chef d’œuvre innovant, Gabriel s’entoure d’une équipe nouvelle, et notamment du sculpteur Honoré Guibert.
120 maçons et 75 tailleurs de pierre travaillèrent sur le projet. Notons que la pierre utilisée pour les chapiteaux de la façade est la pierre de Conflans, venant de Port Marly.
D’Argenville, Guide des environs de Paris, TII, 1768 : « Vis-à-vis le pavillon (l’actuel Pavillon Français) il s’en élève un neuf qui occupe un carré d’environ douze toises (environs 23m), composé d’un rez-de-chaussée et de deux étages, lesquels sont compris dans un ordre corinthien surmonté d’une balustrade. Chaque face a cinq croisées. Celle du Jardin est ornée d’un avant corps formé de quatre colonnes isolées. Les deux côtés sur le jardin fleuriste et sur la cour sont décorés de pilastres ».
Une maison de plaisance royale : hiérarchisation et fonction des espaces.
La simplicité de la façade n’est qu’apparente car chaque façade est différente, traitée en fonction de l’espace qu’elle regarde : la cour, le jardin français (avec son pavillon, côté ouest, la principale et plus riche avec ses quatre colonnes corinthiennes qui rythment le ressaut central), le jardin botanique (d’une composition plus simple, de cinq travées, donnant sur l’actuel jardin anglais) et le jardin fleuriste.
Elevé sur un sous-sol partiel voûté, le bâtiment comporte trois niveaux principaux et un niveau d’entresol.
Le pavillon est surélevé par un perron, formant terrasse sur les façades Nord et Ouest pour les pièces de l’étage noble. Les façades Est et Sud, quant à elles permettent l’accès de plain-pied aux pièces du rez-de-chaussée.
Les pièces de réceptions se trouvent sur la façade Ouest, façade principale (potager ou jardin Français). Les pièces plus intimes se situaient entresolées à l’Est avec un escalier particulier ; pour l’usage privé du Roi. Quant aux pièces de commodités, elles se trouvent en second jour, au centre du pavillon.
Le plan reprend le même principe tripartite que les trois façades.
Organisé autour d’un vestibule central et son escalier d’honneur, le rez-de-chaussée comportait une salle de billard, une salle de gardes, un réchauffoir et différentes pièces à l’usage du service. Celui-ci donnait de plain-pied sur la cour et était essentiellement dédié au service.
L’escalier à large rampe en fer forgé et doré (par H. Guilbert et F. Brochois, en
1765) permet d’accéder à l’étage noble où se trouvent les pièces de réception. Il est le principal ornement du vestibule et assure la desserte du premier étage, lui assurant une plus grande ampleur, alors que deux escaliers particuliers assurent les liaisons privatives et de service. Les « L » entrelacés de Louis XV ont par la suite été remplacés par le chiffre de Marie-Antoinette, « MA ».
L’étage noble rassemble les différents espaces de réception et certaines pièces plus intimes, aux décors plus raffinés.
Il comporte une antichambre, où se trouvaient autrefois deux poêles en faïence, placés de part et d’autre de la porte donnant accès à la salle à manger et chauffaient ainsi les deux pièces.
Le décor de la grande salle à manger, rappelle sa destination avec les sculptures des boiseries et la cheminée, représentant des fruits. De même, quatre tableaux énoncent les différentes sources de l’alimentation : La Moisson (de Lagrenée), La Chasse (de Vin), La Vendange (de Hallé) et La Pêche (de Doyen).
Louis XV avait commandé au mécanicien Loriot, des « tables volantes » qui devaient monter du rez-de-chaussée, par des ouvertures prévues dans les planchers de la grande et de la petite salle à manger. Elles ne furent jamais exécutées, cependant les massifs de maçonnerie prévus par Gabriel pour recevoir le système de contrepoids, subsistent encore aujourd’hui dans les caves. Le 16 mars 1772, le marquis de Marigny écrit à Loriot : « Les circonstances paraissent, Monsieur, ne pas permettre de longtemps l’exécution des deux tables mécaniques que vous avez inventées pour le nouveau Trianon ».
La petite salle, initialement appelée « salle à manger des seigneurs », fut transformée en salle de billard par la suite, sous Marie-Antoinette.
Dans le salon de compagnie, les boiseries, sculptées par Guibert sont sans doute les plus belles du château. On y trouve également des peintures en dessus de porte, des peintures tirée des Métamorphoses d’Ovide.
Les salles suivantes sont entresolées et orientées vers l’Est, sur le jardin botanique et donc réservé à l’espace du Roi.
On y trouve aujourd’hui un cabinet de toilette qui fut anciennement la bibliothèque botanique de Louis XV.
La chambre de Marie-Antoinette est quant à elle l’ancien cabinet du Roi, dont les appartements se trouvaient à l’étage du dessus.
La salle que l’on connait aujourd’hui sous le nom de cabinet « des glaces mouvantes » (glaces qui obstruent les fenêtres par un ingénieux système venant du rez-de-chaussée), ou boudoir était à l’origine un escalier servant à Louis XV pour monter directement dans sa chambre à l’attique, et au pied duquel le Roi prenait son café.
Le second étage, ou attique, regroupe trois pièces principales, formant l’appartement du Roi. Ce-dernier comporte une antichambre, la chambre à coucher du Roi et un cabinet (dès 1766 nommé « pièce où est le café du Roy ») ; ainsi que cinq autres appartements dits « des seigneurs », desservis par un escalier de service. Ils sont habités par les familiers du Roi, et c’est l’un de ces logements qu’occupera dans un premier temps la comtesse du Barry de 1770 à 1772.
L’élévation se fait sur trois travées égales, chacune surmontées en comble, d’une charpente indépendante.
Notons l’exigüité du pavillon, et la hiérarchie des appartements et des escaliers, entre pièces de service, de réceptions, pour l’usage des seigneurs et pour l’usage du Roi.
L’annonce du néoclassicisme.
Le Petit Trianon annonce le style néoclassique. En effet, afin de plaire à la marquise de Pompadour, toujours à la pointe de la mode, Gabriel rompit avec l’esthétique rocaille pour adopter un édifice cubique avec des lignes pures, conforme au nouveau style en vogue, dit « à la grecque ».
En architecture, le néoclassicisme est la conjugaison d’une idée de « noble simplicité » avec celui d’une utilisation rationnelle des formes classiques. La référence constante est donc le temple grec, alliant noblesse, simplicité et logique (théorie de Winckelmann, « noble simplicité et grandeur sereine »).
Le Petit Trianon, par sa sobriété, la richesse raisonnée de l’ornement, l’ordre et la perfection caractérisent cette nouvelle manière de bâtir. On voit également une rupture avec le style rocaille que l’on retrouve à l’intérieur de l’édifice, notamment avec les boiseries.
Le décor sobre donne également une idée juste de la recherche du bonheur propre au XVIIIe siècle.
L’édifice allie la dignité du style palladien et le raffinement français. Gabriel représente le courant conservateur du classicisme français et se distingue de ses cadets « révolutionnaires », comme Ledoux ou Boullée.
Le style de Gabriel s’éloigne de celui de Jules Hardouin-Mansart et s’associe à une idée de palladianisme mais les modalités en restent profondément françaises.
Il s’agit également de la seule œuvre de Gabriel dans laquelle on peut déceler un germe de conception anglaise même si la réalisation est en définitive totalement française.
On a donc une architecture nationale du retour à l’Antique, parfaitement illustrée ici par Gabriel. Le Petit Trianon allie en effet, les qualités de noblesse et de mesure, d’équilibre et d’évidence.
Dans sa nouveauté, Trianon se ressent surtout d’un classicisme français hérité de Louis XIV dont il conserve la force et la noblesse, augmenté de l’élégance du XVIIIe siècle.
BIBLIOGRAPHIE :
* DUSSIEUX (Louis), Le château de Versailles, Versailles, 1881.
* DESJARDIN (Gustave), Le Petit Trianon, histoire et description, L. Bernard, Versailles,
1885.
* GALLET (Michel) et BOTTINEAU (Yves), Les Gabriel, article « Le nouveau Trianon », par Christian Baulez, Conservateur en chef, Ed. Picard,
1982/
2004.