dimanche 30 novembre 2008

John Constable. (Fait avec EP).

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© Eosclio

John Constable.




INTRODUCTION. « Quand à venir vous rejoindre parmi ces spectacles grandioses, souvenez vous, mon cher Leslie, que le Grand n’a pas été fait pour moi, et que je n’ai pas été fait pour le Grand ; les choses sont mieux comme elles sont. Mon art limité et particulier se trouve au pied de chaque haie et dans chaque chemin de campagne, là où par conséquence, personne ne pense qu’il vaut la peine d’aller le ramasser ». (Réponse du 14 janvier 1832 à une lettre où il refuse l’invitation de Charles Robert Leslie d’aller cher Lors Egremont, mécène de Turner et grand collectionneur).

John Constable est le plus célèbre paysagiste de l’histoire de la peinture anglaise, il est l’archétype de l’Englishness et incarne l’âme anglaise. C’est aussi un défenseur du paysage vernaculaire.
On sait beaucoup de choses sur Constable : Correspondance abondante et publiée, livres de souvenirs écrits par ses proches…
Sur sa technique : études scientifiques (radiographies toiles…) lors exposition à Tate en 2006.

Il nait en 1776 à East Bergholt, un petit village du Suffolk, mort en 1837.
Plus tard, il se lia d’amitié avec le vitrier du village, qui était aussi un peintre amateur plein d’enthousiasme. C’est de lui que Constable apprit les rudiments du dessin et de la peinture. Il trouva ensuite dans la région des mécènes qui l’encouragèrent à partir pour Londres en 1799, et à étudier à la Royal Academy.
En 1802, Constable résolut de devenir un paysagiste, ce qui représentait un projet révolutionnaire pour on époque. En effet c’est une époque où l’Idéal néo-classique est encore très présent avec par exemple les théories de Félibien sur la hiérarchie des genres.

Notons qu’à cette époque, en guerre avec l’Europe napoléonienne, qui lui impose le blocus continental, l’Angleterre se replie sur elle-même, exploitant artistiquement ses propres ressources ; en ce sens, on peut parler de l’ « école nationale » : les artistes trouvent leurs inspirateurs chez les maîtres britanniques des générations précédentes (Hogarth, Reynolds, Gainsborough) et se lancent dans l’exploitation systématique du patrimoine insulaire.

En 1818, Constable ne reçoit qu’une seule voix en sa faveur à l’élection en tant que membre associé de la Royal Academy. C’est l’année suivante qu’il fût admit membre, peut être sans non rapport avec les peintures qu’il propose ces années-là.
Il fait en effet un cycle de peintures de la Stour entre 1819 et 1825 qui lui amenèrent gloire (Vallée de la Stour = région natale, a peint ce sujet toute sa vie même après déménagement à Londres). Rien ne permet d’affirmer qu’au départ il voulait faire un cycle, mais cet ensemble de 6 peintures de grandes dimensions est considéré comme un tout cohérent ce qui le ramène à être considéré en tant que cycle. Par ailleurs il dit que s’il était mort à 40 ans il serait resté une figure mineure, car son entrée dans l’art et la reconnaissance de son travail arrivent tardivement). Dimensions inhabituelles pour ce type de sujet (6 foot = 182,9 cm). Avant cela les paysages de six pieds à l’Académie portent sur sujets historiques ou solennels.
1ere toile : Le Cheval Blanc en 1819 (131, 5 x 187,8 cm ; entrée à l’Académie cette même année).
En 1821, il exposa la charrette de foin, qui marque un tournant décisif dans son œuvre. Ce tableau ne trouva pas d’acquéreur en Angleterre. Ce fut finalement un marchand parisien qui l’acheta en 1824 et l’exposa au Salon de Paris.

Comment Constable a-t-il profondément renouveler le genre du paysage en élevant « le paysage vernaculaire » au rang de la Peinture d’Histoire ?

2 axes : - Renouveau du genre du paysage par le sujet traité.
- Renouveau du genre du paysage par la technique employée.


I - Renouveau du genre du paysage par le sujet traité.
A / Evolution du projet narratif.


Représente la paysage humble, a opposé du paysage historique, mythologique ou idéalisé (cf. : Lorrain, Turner etc.).

Peint un paysage affectif qu’il connaît bien. Pas un peintre « voyageur » comme Turner mais un peintre « Habitant ». (cf. : Pierre Wat, Constable, Hazan, 2002, Paris)

Véritable empathie entre peintre et nature = approche très romantique.
Veut révéler part d’infini qui se cache dans le plus ordinaire des chemins de la campagne du Suffolk.
Approche sentimentale : cherche à recréer sensations qu’il a eu devant ses paysages, recréer souvenirs qu’il a rassemblé (approche proustienne)
Mots qui reviennent souvent dans sa correspondance : brightness (lumière, luminosité), freshness (fraîcheur). C ces sensations qu’il ressent en contemplant les paysages de la Vallée de la Stour et qu’il essaye de rendre.
Ex : dans certains tableaux on sent presque l’humidité qui règne.

Les 6 vues = périmètre de 3 miles (environ 5 km)
Ex Omniprésence maison Willy Lott, fermier locataire voisin de C.

A rapproche des théories de Burke et Gilpin : Théorie du pittoresque : esthétique susceptible élargir champ nature digne être représenté. « Poursuivre le pittoresque dans toutes les scènes de la nature « On le recherche dans toutes les parties d’un paysage, arbre, terrasses brisées, bois, rivières, lacs, plaines, vallées, montagnes et lointains » (Gilpin).
Attention : en même temps, le pittoresque = sens du détail. Ex peu attention portée a représentation détaillée des figures.
Constable= pas grand importance aux détails, important pour lui = composition d’ensemble

EX : The Hay wain 1821. Le cours paisible de la rivière, moulin simple et modeste, prairies ensoleillées, nuages légers, sincérité absolue, refus de forcer la nature = Nature a en elle-même assez de caractéristiques qui peuvent émouvoir.

Contraire aux paysagistes à la mode à la suite du Lorrain.
Pour C = art construit sur un « oubli volontaire. Mouvement d’éducation et de désapprentissage.
Désapprendre pour mieux avoir accès à la vérité qui se cache dans la nature.
Connaît Léonard, Poussin, copie Lorrain, Gainsborough mais se libère chose apprise.
Pour C = a trop de copier, on est condamné à faire moins bien.
C = quand commence à peindre essaye d’oublier qu’il n’a jamais vu un tableau.
En même temps = composition très ordonnée (savoir académique). Ex : The leaping Horse= Oblique divise tableau en 2.

Or dans certains tableaux = influence. Cf. : Dedham Vale = petit pont inspiré par celui de Lorrain dans Agar et Ange.

S’écarte formules traditionnelles paysagistes à la mode (Cf. : Bonington, Turner, Corot) = formules appliquées= arbre majestueux au 1er plan, repoussoir conduit regard vers lointains .tons chauds au 1er plan, blancs pâles à Horizon.

Importance du Clair Obscur = doit sculpter paysage, selon Constable « Faculté de créer l’espace », donne importance à paysage qui peut paraître « insignifiant, banal ou ingrat »
Ex : LA Charrette de foin.= lumineux en arrière plan, sombre en avant plan.
Clair obscur devient fondamental dans ses œuvres tardives (cf. : Dedham Vale).

Evolutions dans la conception rendue de la nature= Charrette de foin = orientation du soleil suggère mi-journée, scène calme à un moment donné.
Cheval sautant = Mouvement du cheval fait écho au mouvement du ciel. Image instantanée, cheval captée au moment ou saute. (cf. : statue équestre XVIII e siècle). Ce mouvement cette énergie est nouvelle dans son œuvre. But : créer mouvement, donner énergie au tableau. Recréer des sensations, va bien au-delà atmosphère générale.



B / Une peinture de la vie agricole du 19e.


La rupture dans la tradition laissait alors 2 choix aux artistes. Ils pouvaient poursuivre la poésie, rechercher des effets émouvants ou dramatiques.
Ils pouvaient aussi s’en tenir aux données immédiates du motif, chercher à en pénétrer les secrets avec honnêteté et patience. Ceux qui suivirent Constable cherchèrent à exprimer le monde visible sans le souci préconçu d’évoquer un univers poétique, ont donnés des œuvres d’une importance plus grande et plus durable.
Constable ne cherchait pas à garder le souci du « pittoresque » traditionnel, et le cadre agréable de scène idylliques (Gainsborough) mais il se souciait seulement de la vérité. « Il devait y avoir place pour un peintre naturel. Le plus grand défaut, à l’heure actuelle, est la bravura, la prétention de dépasser la vérité » (Constable à un de ses amis en 1802).
La charrette de foin (1821) représente une charrette traversant une rivière à gué. Le cours paisible de la rivière, le moulin si simple et modeste, les prairies ensoleillées, les nuages légers, tout proclame la sincérité absolue du peintre, son refus de forcer la nature, son manque total d’affectation.

Témoignage sur la vie agricole de la première moitié du 19 e siècle : chaque tableau = épisode de la vie agricole. En effet, au début du 19 e siècle : agriculture = enjeu national en Angleterre suite blocus Napoléonien. Angleterre doit produire (notons que le père de Constable = marchand meunier donc plus riche).
EX : La charrette de foin : Chemin de halage interrompue par cours d’eau. Faute de pont à proximité, usage passer cheval de tirage en bac. Empreintes visibles des roues. Orientation des roues vers droite indique chemin. Va traverser rivière jusqu’à autre bout pour recevoir nouvelle cargaison.
Au loin = faucheurs. Enfant appelle chien = scène enrichit dimension auditive.

Au départ : paysages de la Stour pas vraiment fonctions narratives. Sujet, figure, ou action relégué à gauche ou droite du tableau comme dans le Cheval Blanc puis paysage vient au centre.
Cf. : la Charrette de Foin (1821) = charrette et personnages au centre. Roues de la charrette tournées vers la droite, vraie fonction narrative.
Cf. : Le cheval sautant (1825) = Cheval en train de sauter barrière de halage qui empêche bétail de vagabonder. Chevaux de halage dressés pour sauter et éviter trop passages en bac. *






II – Renouveau paysage par la technique employée.
A / Voir par ses propres yeux.
-Grande nouveauté = esquisses à l’huile en taille réelle. Jamais vu dans art occidental ( ?). Pas exposé, pas vendu, Constable n’en parle pas dans sa correspondance.

Toute sa vie, a fait esquisses, à l’encre, au crayon, à l’huile. Comme un catalogue dans lequel puise pour version finale tableau.

Investigation par dessin, aquarelle, huile par tous les temps et sous tous les angles, de chaque motif saisi
Ex : croquait personnages réels ensuite réintroduit dans tableau des années plus tard. = soucis de réalité.

Créer des toiles de six foot = grand travail préparatoire= esquisses= mise en place des éléments fondamentaux puis fait des changements, des rajouts si nécessaire.
Méthode du « Squaring up « copier ou élargir un motif (design) utilisée par artistes depuis centaines années.
A partir de 1816 (déménagement Londres) = autre méthode= un cadre en bois avec des fils horizontaux et verticaux. Placé face au tableau.
Marques d’encre aux coins. (A préciser)Fils retirés après que le motif ait été copié.

Cheval Blanc, Charrette de foin … = même combinaison des matériaux issus d’un vaste dico d’images
Pour peintures de la Stour = esquisses en plein air puis tableau final en studio à Londres.

Nombreuses retouches après esquisses, même après avoir exposé tableau à Académie et parfois après vente du tableau : donner exemples.

Rajoute même parfois parties à toile, raccords : cf. le cheval sautant (rayons X) partie du haut rajoutée.



B / Le couteau, les empâtements.
Esquisses souvent plus libres, plus expressives, emploi important du couteau. (Plus révélateur des vrais goûts de constable ?)

Harmonie d’ensemble l’emporte sur la réalité topographique. Ex : cheval Sautant : inclut Tour de Dedham au loin, se trouve en réalité derrière spectateur.
Dans version finale déplace élément tels qu’ils sont dans la nature pour l’intérêt des grands ensembles. Ex : Eglise dans le Cheval sautant. .
Ex : Cheval Blanc 1819 : enlève personnages au premier plan, on voit encore trace. (X ray, rayons infrarouges), Agrandit le toit de la maison au bord de l’eau, rajoute personnage debout en rouge derrière le cheval, enlève barrière sur autre berge, saule mois haut, moins dense, plus détaillé.= Toujours obsession de rendre tableaux finis.
Cheval sautant 1825 : Saule de droite déplacée derrière cheval dans version finale.
But = émouvoir en montrant nature
Critique souvent faîte = tableaux pas finis, rompt avec le faire élégant des paysagistes français = coloris égal, art du glacis soucis de distinction du motif. XIX e siècle, tradition du « paysage fini » doit montrer une harmonie qui n’existe pas dans la nature.
Constable = travail en épaisseur, loin idéal classique du medium transparent, forme d’opacité, couches d’huile épaisse, peinture au couteau (surtout à partir de 1824)
Raison = En partie, problème de temps pour rendre tableau à Académie à temps. Constable = plusieurs couches qui mettaient temps à sécher, se mettait trop tard à exécution tableau, obligations familiales. CSQ = tableaux souvent pas vernis ou après exposition à Académie. …
Constable n’a jamais rendu un tableau vraiment fini à L’académie.

-Certaines parties plus finies que d’autre : Ciels très travaillés, arbres aussi.
Eau, rivière, personnage : beaucoup moins, touche plus expressive, épaisse.
Ce n’est pas une touche uniforme, pas une manière de peindre unique.

Neige de constable = petits points blancs que constable introduit dans ses compositions, notamment dans plans d’eau, arbres…
Donne lumière et fluidité a ses paysages. A préciser

Autre critique = peu de soin à représentation figures parfois a peine reconnaissable, masse difforme. Peu attention à la figure.
Raison ( ?) Ce ne sont que des éléments de la composition et pas centre de la scène. Premier rôle = nature.
Personnages représentés dans soucis réalité où pour respecter conventions, mode pittoresque (cf. : gitane dans Dedham Vale)

Utilise beaucoup couteau surtout après 1824.



C / La représentation du phénomène météorologique.
C’est à Hampstead (où il loue une maison) qu’il devient conscient des conditions météorologiques comme un phénomène continu et donc du changement continu de la nature dans son ensemble.
En 1821 – 1822, il entreprend une étude intense du plus éphémère de tous les phénomènes naturels : les nuages. Il produit alors une cinquantaine de croquis de nuages où il note des informations sur le temps, la direction du vent… Cherche le temps qu’il fait et le temps qu’il fera. Soucis de réalité météorologique. Beaucoup de lectures.
Il indiquait toujours dans ses titres les circonstances dans lesquelles il avait peint le tableau (indication de date, de jour, heure, orientation, force et direction du vent) ; il était en effet conscient des changements dans la lumière et l’ombre au fur et à mesure que le jour progressait : lumière brillante du matin, avec un ciel haut ; ombres de plus en plus longues l’après midi ; couleurs douces et tamisées du soir, quand le ciel est éclairé à l’horizon, créant des ombres profondes et des silhouettes en contre-jour.
Vision scientifique de la peinture (en ce qui concerne les ciels) = nouveauté.

Pour Constable = ciels = une des parties du paysage les plus importantes et les plus difficile à représenter.
Souvent ciels traités de façon sommaire par les paysagistes comme élément secondaire de la composition. Pour Constable c’est un élément central. Car pour Constable pour comprendre la nature, il faut observation directe, expérience et compréhension scientifique.
Par exemple : intérêt de Constable pour processus physiques qui génèrent différents types de nuages, façon dont position du soleil affecte notre perception de la forme et de la couleur des nuages. Pour Constable l’exactitude est un moyen au service du sentiment.

Le temps pensé comme processus séquentiel = chaque moment mis en relation avec ce qui précède et ce qui suit.
Ex= charrette de foin, nuages épais au dessus arbre de gauche = suggère que va pleuvoir plus tard.
A droite, ciel plus dégagé = soleil.

Statuts inédit aux études de ciels. Travaux préparatoires pour améliorer sa maîtrise dans la représentation d’un des éléments du paysage. Fait des « portraits de nuages » (Constable) = souci de caractérisation, veut faire apparaître traits individuels des différentes sortes de paysage, comme dans des portraits.
En Conséquence : Nuages acquièrent autonomie en tant qu’œuvre et que genre. Mais ce n’était pas le but initial de Constable !


CONCLUSION. Constable peignit sans relâche pendant toute sa vie. Il exerça peu d’influence dans son pays mais il eut beaucoup de succès dans le reste de l’Europe. Finalement, en 1819, il fut élu membre à part entière de la Royal Academy.
Bien que l’Angleterre ait mis du temps à reconnaître l’immense talent de Constable, sa réputation y est maintenant solidement établie. Il fut le premier peintre à se libérer de la rigide tradition néo-classique, et il est souvent considéré comme le précurseur des impressionnistes français.
C’est en tant que peinture romantique que son œuvre est unique, révolutionnaire, étonnante. Pour apprécier ses tableaux, il suffit d’aimer la nature, et à travers son art, on peut voir la vraie beauté et la valeur de la simplicité.
John Constable a ainsi profondément renouvelé le genre du paysage. Il a donné un statut au paysage champêtre et donc participe à donner une nouvelle dignité à ce genre.

Certains le disent précurseur de l’impressionnisme.
En effet, la plupart des futurs impressionnistes ont fait leur apprentissage dans des ateliers marginaux, loin des conventions et des recettes savantes. Ils ont pour désir de montrer leurs expériences visuelles, en premier lieu la grande lumière naturelle avec ses milles nuances et dégradation, ses vibrations, ses reflets. Mais pour ce faire, et ce qui diffère d’une certaine manière de Constable, ils doivent impérativement travailler devant le motif (et non de mémoire en atelier) et peindre vite, non des esquisses comme Constable ou Corot. La peinture de Constable, faite d’après des esquisses d’après nature mais reconstruite en atelier est donc l’inverse d’une peinture d’impression et de l’instant. Les impressionnistes doivent en effet saisir le mouvement ou le fugitif, ce qui écarte les tracés précis, toute méticulosité dans les détails.

« Mon art ne flatte personne par l’imitation, il ne sollicite personne par le poli, il ne chatouille personne par la petitesse, il est sans sucreries, ni fadaise, comment alors pourrais-je espérer être populaire ? » (Constable).
Il lui a, en effet, fallu du temps pour être reconnu. Notons dans ce sens que la première exposition rétrospective de l’artiste en France date de 2002

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samedi 1 novembre 2008

La formation de l’architecte à la fin du XVIIIe siècle.


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© Eosclio

Introduction :
Jacques-François Blondel (1705 – 1774, architecte, théoricien et grand professeur d’architecture du 18e), dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (éditée de 1751 à 1772, vol. 1, t. I, p. 178, pl. 616) : « La protection que Louis XIV a accordé à ceux de son temps, nous fait assez connaître qu’un bon architecte n’est point un homme ordinaire, puisque sans compter les connaissances générales qu’il est obligé d’acquérir, telles que les belles lettres, l’histoire, etc., il doit faire son capital du dessin, comme l’âme de toutes ses productions ; des mathématiques, comme le seul moyen de régler l’esprit et de conduire la main dans ses différentes opération ; de la coupe des pierres, comme de la base de toute la main-d’œuvre d’un bâtiment ; de la perspective, pour acquérir les connaissances des différents points d’optique, et les plus-valeurs qu’il est obligé de donner aux hauteurs de la décoration, qui ne peuvent être aperçues d’entre-bas. Il doit joindre à ces talents les dispositions naturelles, l’intelligence, le goût, le feu et l’invention, parties qui lui sont non seulement nécessaires, mais qui doivent accompagner toutes ses études. ».
Donc nous voyons que l’architecte ne se contente plus d’appliquer les projets qui lui sont proposés mais il se forme à ce qui est nécessaire à l’ensemble d’un projet ce qui va nécessairement amener l’architecte à réfléchir sur sa position même et donc sur l’architecture plus généralement.
On trouve également à cette époque un regain d’intérêt pour l’art antique avec les études qui s’y rattachent, philosophie des Lumière et Révolution Française qui forment les points important et qui va entrainer l’évolution de l’architecture à la fin du XVIIIe siècle.
Frédéric II de Prusse : « Le tombeau de Voltaire est celui des Beaux Arts [mort en 1778] ; il fait la clôture du beau siècle de Louis XIV. Nous entrons maintenant dans le siècle de Pline, de Sénèque et de Quintilien ». Cette époque va donc connaître une rupture qui va voir les architectes se tourner vers l’art antique, qui ne va plus être perçut comme le passé de l’art italien.

Problématique et plan. En quoi le contexte politico-culturel de la fin du XVIIIe siècle entraîne-t-il la modification du rôle de l’architecte ? Quelle influence cela a-t-il sur la formation même de ces derniers ?
Les renouvellements apportés au 18e siècle (refus du Baroque, retour à l’Antique, l’influence des Lumières) ; Une nouvelle formation (fin de l’Académie, réorganisation des enseignements) ; Un nouvel architecte pour une nouvelle société.

I – Renouvellement de la discipline architecturale.

A / Refus de la culture Baroque et retour à l’Antique.


Mario Gioffredo, Dell’Architectura, 1768 : L’illustration de couverture se compose de l’Architecture personnifiée, assise sur des vestiges archéologiques, qui tient dans sa main le compas et la règle, instruments d’un projet appuyé sur la rationalité. Les projets sont donc fondés sur la mémoire historique comme signification culturelle (Recourt permanent à l’histoire, à la mémoire alimente alors la nostalgie pour le passé, exorcise les doutes vis-à-vis d’un présent très critiqué par les auteurs) et sur les outils permettant de contrôler l’invention au moyen d’instruments géométriques précis.
L’invention doit en effet être placée sous le contrôle de la Raison. L’accent est surtout mit sur les aspects techniques de la préparation professionnel sans oublier la culture. Cela est un instrument d’opposition à la métaphysique baroque car cela refuse ce qui est rationalisé ou réglé en fonction de principes établis une fois pour toutes comme ce fut le cas avec l’Académie. Le Baroque est par ailleurs considéré par les contemporains comme un avatar du gothique. Seule la Raison semble en mesure de redéfinir les méthodes du projet, laissant de moins en moins de place à l’invention et surtout à l’imagination pure.
L’élaboration de nouveaux projets peut alors être faite à partir de l’étude du classicisme qui fournit des modèles sur le plan typologique mais aussi sur celui de la rigueur formelle de la composition.
Mais les architectes souhaitent aller aux sources mêmes du classicisme, l’Antiquité ne doit plus être le passé de l’art italien mais une source même.
Les canons du Beau se tournent au XVIIIe siècle vers l’art Antique. On voit en effet des théoriciens tels que Winckelmann pour la peinture et la sculpture écrire des traités faisant l’apologie de l’art grec et qui tentent de trouver comment construire, peindre ou sculpter à la manière Antique. Le Baroque fait alors l’objet d’un refus car il et trop métaphysique. L’architecture est bien entendue touchée par ces études.
En effet, la connaissance et la documentation archéologique de cette époque se base sur des sciences et recherche des objectifs et des significations culturelles et historique des témoignages passés pour être appliqué à différents domaines comme l’architecture.
L’intérêt pour le monde antique est en partie dû à toutes ces découvertes et explorations associés à une curiosité et soif d’apprendre typiques de ce siècle.
L’Antiquité suscite des idées nouvelles et offre une idéologie associant beauté esthétique et organisation sociale, ce que recherchent les théoriciens du XVIIIe siècle.


B / L’influence des Lumières.
Le siècle des Lumières amène à réfléchir sur le sens des choses.
A cette époque, le rôle du critique, assumé par l’homme de lettre, est primordial. On voit alors l’émergence de nombreuses théories chez les savants qui relisent les textes anciens. Ce sont des savants, des écrivains ou de simples érudits qui, parfois sans formation, s’intéressent à l’architecture avec des approches différentes mais toujours avec une critique pertinentes avec les doctrines vitruviennes. On trouve d’ailleurs des rééditions de Vitruve de nombreuses fois au XVIIe et XVIIIe ce qui constitue un point de départ sur les principes de l’architecture.
Importance grandissante des intellectuels sur les architectes est une des caractéristiques de cette période et cette spéculation scientifique est considérée comme une des formes les plus achevées du rationalisme.
Beaucoup comprennent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle que la pensée des Lumières est plus que la certitude, dans la mesure cette période inaugure l’ère du doute moderne.
Les architectes cherchent alors à établir des comportements professionnels, des règles afin de définir un cadre dans lequel ils inscriront leur démarche.
Pourtant, si ce débat sur le rôle de l’architecte s’internationalise à travers une suite d’échanges, le renouveau de la discipline architecturale étant liée à des exigences sociales et à une pratique nouvelle, c’est en France que s’en ressentent les meilleurs résultats. En effet, elle en montre plus attentive aux changements de goût. Cela entraîne un malaise croissant entre les intellectuels et certains membres de l’Académie d’architecture, lieu encore officiel de la formation des architectes.

II – Une nouvelle formation.

A / De nouveaux choix de disciplines. Les programmes des écoles déterminent les compétences des disciples afin de mieux préparer la nouvelle génération d’architectes à un art qui ne se contente plus de représenter ou exalter le pouvoir.
Rôle important des académies qui élaborent une nouvelle théorie des principes de l’architecture. Les académies sont aussi le point de référence des institutions qui ont pour volonté de se réformer.
L’Académie Royale d’Architecture est fondée en 1671, soit 16 ans après celle de Peinture et de Sculpture. A l’Académie, les professeurs ainsi que le directeur sont nommés par le Surintendant des Bâtiments du Roi. En 1666, déjà l’Académie de France voit le jour à Rome et 2 ans auparavant le prix de Rome est instauré. Cette ville est alors considérée comme le lieu privilégié dans l’étude des sources classiques et des traités. La mission de l’Académie est d’élaborer une discipline architecturale, de mettre en place un enseignement des architectes afin de diffuser ces règles et de vérifier que celles-ci sont appliquées dans la pratique.
La géométrie, comme exemple d’une matière nouvellement enseignée, est vue comme un contrôle rationnel de l’objet projeté et vérifie ses qualités architectoniques. Elle définie le rapport entre le projet et d’autres objets dans l’espace et le rend alors contrôlable. La rigueur scientifique reflète une vision rationnelle de la profession, libérée de l’exaltation des formes. L’Académie se voit alors inadaptée à ces nouveaux enseignements, elle passe alors d’une réformation à une remise en cause complète.



Hautecœur, Révolution et Empire 1792 – 1815, Histoire de l’architecture classique en France, t.V, Picard, Paris, 1953 : « L’Académie règne sur les architectes les étudiants, les entrepreneurs, les édifices du roi, des provinces et des villes. Elle constitue un instrument puissant au service du pouvoir central ». Cela démontre du climat conservateur qui règne en ces lieux officiels d’où une volonté de changement radical par des défenseurs de la pensée des Lumières.
Cette tâche s’applique surtout dans les académies les plus traditionnelles car c’est là surtout que s’exerce la formation de la nouvelle génération d’architectes.
On veut soustraire les écoles au contrôle officiel de la cour et privilégier l’aspect technique et scientifique de la préparation ; Les académies royales sont alors de plus en plus supprimées ou tout du moins marginalisées pour être remplacées par de nouveaux instituts. Leurs programmes sont révisés avec une plus grande rigueur scientifique et sont directement contrôlés par des hommes de culture ou représentants des nouvelles classes au pouvoir.
En 1747 est crée l’Ecole Royale des Ponts et Chaussées. Elle acquiert très vite un certain prestige dû notamment à son organisation pédagogique qui, au-delà des matières scientifiques, prévoit l’étude de l’économie. Les professeurs restent extérieurs à l’organisation administrative, ils sont payés par des bourses gouvernementales ou par les élèves eux-mêmes.
Révision des disciplines requises pour la formation. Les matières scientifiques (mathématiques) sont privilégiées. Retour à l’Antique sur des bases rationnelles et accompagné d’un débat sur le sens de cet héritage.
En France naissent alors de nombreuses structures privées et aucune ne tient alors un monopole en terme d’instruction. L’approche scientifique ne laisse rien au hasard, ni le choix, ni le lieu, ni l’organisation du chantier, ni l’emploi des matériaux. On a une réduction de la distance qui existe entre l’architecte et l’ingénieur en raison de l’approfondissement des nouveaux problèmes scientifiques. La divergence entre l’architecte et l’ingénieur se situe surtout dans le choix du terrain d’application.
Ce n’est que par l’utilisation rationnelle d’instruments que l’architecte peut se dégager de l’enseignement traditionnel qui caractérise encore la pédagogie de l’Académie pendant une grande partie du XVIIIe siècle. On recourt de plus en plus aux maquettes permettant d’expérimenter l’effet des forces mises en œuvre. Cela découle de la méthode rationnelle avec laquelle on aborde désormais l’architecture. La construction de l’église Sainte Geneviève par Jacques-Germain Soufflot dès 1775 illustre cette nouvelle manière d’aborder l’architecture. L’organisation du chantier prévoit donc une connaissance parfaite des matériaux, du processus de construction, et l’application de techniques qui facilitent la mise en œuvre d’éléments habituellement construits sur un autre lieu et assemblés sur place. Les nouvelles machines mises à disposition de l’artiste appartiennent aussi à cette logique du chantier moderne car elles permettent une économie humaine et financière (l’architecte a aussi la fonction d’ingénieur).
Traité de l’abbé Cordemoy (1706, Nouveau Traité de toute l’architecture ou l’art de bâtir utile aux Entrepreneurs et aux Ouvriers & à ceux qui font bâtir) : « Parmi l’ensemble des arts utilitaires, l’architecte est celui qui requiert le plus grand talent et les plus vastes connaissances. Pour faire un bon architecte, il faut probablement autant de goût, d’intelligence et de génie que pour former un Peintre ou un Poète de premier ordre. Considérer qu’il ne s’agit que d’une discipline mécanique serait une grave erreur… » ; « Quiconque est en mesure d’apprécier tant de beauté, loin de confondre l’Architecture avec les Arts mineurs, aura plutôt tendance à l’élever au rang des Sciences les plus achevées. ».


On voit alors une volonté d’inscrire la profession d’architecte comme fondée sur un savoir spécifique.
Préparation théorique et choix des disciplines se fait à l’Académie puis à l’Ecole, mais l’essentiel de sa formation se fait par l’expérience sur le terrain par l’étude, les relevés et les observations de l’architecture antique.

B / Une ouverture de la culture architecturale : les voyages et les débats.
Connaissance et description littéraire des lieux antiques ouvrent la voie à des initiatives regroupant hommes de lettre, dessinateurs, archéologues, architectes, mécènes et collectionneurs. Des bourses d’études sont financées pour des élèves architectes afin qu’ils se rendent en Grèce ou à Rome, afin de parfaire leur préparation. En effet, le passage du classicisme de voltaire à celui de Pline nécessite un abandon de la capitale parisienne au profit de la capitale romaine. Notons l’importance des découvertes d’Herculanum et de Pompéi, ainsi de Paestum.
Le Grand Tour est un moment fondamental de la formation de l’architecte et des intellectuels du XVIIIe siècle en général. Les récits de voyages, les dessins de monuments et les relevés se répandent largement et s’opposent au baroque en se tournant vers le classicisme. De très nombreuses publications se succèdent [Tables de Séroux d’Agincourt] et participent au courent de pensée qui adhère au modèles des expériences passées connues par ces publications, les gravures, les dessins.



Le « voyage » devient l’aboutissement indispensable d’une formation culturelle individuelle.
Le premier Prix de Rome date de 1720. L’Académie décide de réaliser un concours par an. Le résultat du concours doit décider de l’accès à l’élève-architecte au pensionnat à Rome. Le Grand Prix se déroule de la manière suivante : Adoption par un académicien au début de l’année scolaire pour pouvoir concourir ; Précision du programme pour la concours par l’Académie après délibérations et examens des différentes propositions ; Les élèves fournissent des esquisses (juillet) ; Sélection des esquisses par l‘Académie qui en élimine quelques unes ; Mise au point des projets définitifs par les concurrents restant ; Nouvelles éliminations après un examen de conformité des projets d’une commission composée du professeur d’architecture et de 3 académiciens ; Exposition publique de la dizaine de projets retenus (août) ; Jugement des académiciens avec la distribution des prix et des médailles ; Présentation au Surintendant des Bâtiments du Roi du lauréat pour qu’il reçoive sa bourse de départ pour Rome.
Le débat sur le sens de la profession d’architecte est l’activité de nombreuses écoles européennes. A ce titre, en Angleterre est créé en 1791 l’Architect’s Club qui s’appuie sur un programme clairement rénovateur. Lors de l’assemblée annuelle de 1792 est justement abordé le problème de la définition de la profession et de sa mission d’un point de vu juridique.


III – Un nouvel architecte dans une société nouvelle.
Le rationalisme et fonctionnalisme reflètent la volonté d’une société qui cherche une voie démocratique pour atteindre une forme de pluralisme social. L’architecture se voit assigner une fonction déterminante dans la définition d’une société moderne dont elle doit exprimer les lois collectives, l’architecte devient alors un acteur essentiel de cette nouvelle société.
C’est dans la seconde moitié du XVIIIe on a une prise de conscience des architectes. En effet, ils se rendent compte de la nécessité de participer à la rationalisation de la production mais sont souvent incapables de trouver un équilibre entre la reconnaissance de la Cour et l’indépendance de leur profession.
On assiste à une classification typologique qui cherche à répondre aux besoins croissants d’une société pour laquelle l’architecture comme un moyen de créer des conditions de vie meilleures. Au siècle des Lumières, l’architecte a alors un rôle déterminant dans la transformation de la société.
Urbanisation caractéristique de cette période et les architectes trouvent dans ces modèles éclectiques une solution aux exigences typologiques et au désir de nouveaux monuments pour un monde d’entrepreneurs bourgeois.
Cette nouvelle classe sociale, décidée à accéder au pouvoir, entend trouver dans l’architecture un moyen d’exalter son émancipation récente.
Le mérite des architectes consiste alors surtout à avoir comprit que l’architecture peut répondre aux exigences avancées par une société qui évolue sans cesse.
Conclusion.
Dans sa formation, l’architecte ne se contente plus des disciplines techniques (d’ailleurs largement réformées). Il doit aussi démontrer qu’en plus de sa capacité à se perfectionner, il a ses propres idées sur l’architecture, sans quoi il risque de ne pas être choisit pour des commandes officielles.
Le nouveau rôle de l’architecte et son attention pour les demandes de structures sociales et d’assainissement de la ville, ne s’expriment cependant pleinement qu’au XIXe siècle malgré que les écoles se caractérisent de plus en plus par une orientation technique et scientifique.


Bibliographie.
CALLEBAT (Louis, dir.), Histoire de l’architecte, Flammarion, Paris, 1998.
DIDEROT, D’ALEMBERT, Encyclopédie, article « Architecte » de Blondel.
PELPEL (Laurent), COHEN (C.), PERDRIZET (M.-P.), La formation architecturale au XVIIIe siècle en France, Paris, Ministère de la culture et de l’environnement, 1980.
PEROUSE DE MONTCLOS (Jean-Marie), L’architecture à la française, Picard, Paris, 2001.
Encyclopédie Universalis.

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