lundi 26 mai 2008

Les jeux vidéo historiques, se divertir en apprenant ? (par NICOLAS FLAMENT)

Les jeunes ne regardent plus les documentaires historiques. Les commentaires laconiques de commentateurs blasés par des événements qui les dépassent peinent à intéresser une jeunesse à la recherche de frissons et d’aventures. Seule une poignée d’initiés passionnés par le sujet diffusé (le plus souvent sur une chaîne du service public à 3 heures du matin) peut résister à l’appel irrésistible de Morphée ou… de leurs jeux vidéo historiques ! En effet, contrairement à leur cousin le petit écran, la console et l’ordinateur se passionnent de plus en plus pour l’histoire…





Dépassé le livre ? Probablement. Mais la télévision serait-elle en passe de devenir inintéressante comme support pour l’Histoire ?



Nous verrons ainsi comment l’histoire se développe dans le jeu vidéo selon les différents types de jeux.

La série mythique des Age of Empires débute en 1997. C’est également ainsi que démarre les STR historiques… Très librement adapté des événements historiques, cet opus avait au moins le mérite de plonger le joueur dans le passé pour la première fois en temps réel. Cette série a ensuite inspirée d’autres développeurs qui changeront les modes de jeu et les périodes illustrées. On citera ainsi Empire Earth, les Cosacks, Sudent Strike… Mais c’est principalement dans la stratégie alliant le temps réel au tour par tour, particulièrement propice, que les jeux historiques vont proliférer par la suite. Ainsi, le joueur peut refaire le monde, changer la destinée des empires, empêcher des guerres (ou plutôt, en général, les provoquer), en bref, il est le maître absolu et rentre lui même dans l’histoire.


Sreenshot de Medieval II: Total War.



Et le réalisme dans tous ça ? Absent ? « Que nenni » répondent les concepteurs. En effet, les détails des graphismes, l’attention toute particulière portée aux anachronismes sont en plein essor. Aussi, dans tous ces jeux, bien que l’on soit libre de la façon dont on mène à bien sa partie, soit la campagne solo la dirige vers une réalité historique soit les batailles historiques sont reconstituées. Tous ceux qui ont un jour joué à Age of Empire II sont persuadés de connaître par cœur la guerre de cent ans et les Croisades aussi bien que leur prof d’histoire. Bien souvent, les batailles sont également précédées et/ou suivies de descriptifs de la situation avant et après la bataille. De plus, les personnages sont souvent réels, les unités reflètent bien les armées de l’époque et l’immersion, pour peu que l’on soit curieux, entraîne admiration et intérêt. D’autres jeux de stratégie jouent plus sur l’évolution de la civilisation sur une longue durée, laissant de côté le réalisme historique pour créer un gameplay évolutif peut être plus intéressant pour certains gamers, mais assez affligeant de simplicité pour l’historien. On pense alors évidemment à la série des Civilization, qui sous couvert d’un réalisme au niveau des ressources voudrait nous faire croire que Einstein a vécu 100 ans, que la statue de la liberté est en Chine si on en a envie, et que les chevaliers féodaux peuvent très bien se battre avec les Marines.



Une fusée décollant du centre d’un New York peu ressemblant dont la banlieue est peuplée d’éléphants dans Civilization IV…



Surfant sur la vague d’intérêt suscitée par le film « Il faut sauver le soldat Ryan » (1998) de Steven Spielberg, les FPS semble s’intéresser quand à eux particulièrement à la seconde guerre mondiale pour des raisons techniques évidentes (bien qu’ils brillent par leur absence en ce qui concerne la première guerre mondiale).Il faut sauver le soldat Ryan, Film hollywoodien ou Reconstitution historique fondatrice d’un regain d’intérêt pour cette période?
On citera notamment des jeux comme Medal of Honor, la série des Call of Duty (mis a part le IV, inspiré de la géopolitique actuelle beaucoup plus que de faits historiques), et l’inévitable Brother in Arms… Les développeurs ont effectué pour ceux-ci un travail de recherche qui pousse le réalisme historique à un point jamais atteint. Ils se sont ainsi inspirés de films d’époque, de photos, de témoignages de vétérans, pour donner à leurs jeux un caractère documentaire saisissant. L’influence du cinéma sur ces jeux n’est pas a négligée. Ainsi Medal of Honor: débarquement allié permet de vivre la fameuse scène du début du film de Spielberg, du débarquement en Normandie le 6 juin 1944, dans la peau d’un soldat américain sous les ordres du capitaine Miller. De la même façon, le jeu Brothers in Arms, s’est presque totalement inspiré de la série Band of Brother (2001), suivant pas à pas les soldats de la 101ème aéroportée américaine. Ce dernier poussa le réalisme à un point extrême. La beauté des graphismes de ce jeu, conjugué au fait que les missions proposées en solo ont vraiment été effectuées par les soldat de cette division, nous amène à voir en ce jeu un caractère documentaire. Ils jouent ainsi un réel travail de mémoire, relayant la pensée des vétérans.



Débarquement allié à la pointe du Hoc dans Call of Duty II, reconstitution fidèle inspirée du film : Le Jour le Plus Long.



On sait que l’heure est à l’histoire réaliste, proche du soldat moyen et des atrocités de la guerre. Les FPS, en utilisant un mode de fonctionnement à la première personne, permettent une identification réelle, immergeant le joueur dans l’univers de l’époque. Dans quelle mesure cela conduit-il à une banalisation de la violence ? ça demandez-le à votre prof de philo.Juste une question toute bête : Qui, après avoir joué a ces jeux pendant des heures, ne s‘ est jamais fait la réflexion: « celui là à la fenêtre il serait facile de l’avoir avec mon Sniper » ou encore « ouah ! Ici je serais vachement bien planqué pour pouvoir tuer tous les ennemis qui passent ». Que celui-ci me jette la première pierre.



Une autre forme de jeu à la première personne affectionne particulièrement le contexte historique : le jeu d’aventure. Il couvre ainsi, sur la base d’intrigues et de complots inventés ou inspirés de la réalité, de nombreuses périodes historiques. Le temps des pharaons avec la séries des Egypte, celui du Roi soleil avec Versailles, ou encore la période napoléonienne avec l’Oricou, enquête à Paris sous Napoléon. Ces jeux, en plus de faire travailler les méninges sur des problèmes tous plus tordus les uns que les autres, exciterons votre curiosité et vous pousserons à vérifier si oui ou non il y a eu complot ! Sans aller jusqu’à la recherche en bibliothèque, sauf pour les paranoïaques maladifs, vous irez allégrement chercher sur google ou wikipédia (erreur fatale du non historien) pour vous informer.



Loin, très loin des livres d’histoires, les jeux vidéo ? Pas si sur. Screenshot Versailles,1685 complot a la cour du roi soleil (1997).



Toutes ces formes de jeux ont également créé une communauté de joueurs qui se regroupent en clans. Ces clans disposent bien souvent leur propre site internet qui mettent en ligne, en plus de conseils relatifs au jeu, news et autres; des liens vers des sites historiques officiels bien souvent recommandés ou créés par les universités d’Histoire elles-mêmes ! Il existe donc bel et bien une influence positive de ces jeux et la volonté de la part des joueurs de se divertir en apprenant. De la même façon, les jeux eux même tentent de se donner une légitimité historique pour renforcer leur public. Certains développeurs envisagent très sérieusement de donner, avec chaque jeu vendu, un fascicule d’explication sur la période ou même un dvd documentaire ! Sans compter toutes les petites phrases historiques présentent dans Civilization IV, dans les Total War, ou encore de Call of Duty.
Dans Call of Duty lors des chargements, est notamment cité Staline dans une phrase àglacer le sang : « la mort d’un homme est une tragédie, la mort d’un million d’hommes est une statistique »… Qui ne comprend pas mieux l’Histoire après une telle citation…
Quelque soit le support, quelque soit le mode de jeu, les jeux historiques ont su en tous cas redonner un certain intérêt pour l’histoire à une jeunesse qui ne voyait en cette matière autre chose que la figure de l’immonde madame Batouche, stylo à la main et regard vicieux, qui hurle d’une voix stridente et en arborant un sourire sadique, un ignoble : “Alors, aujourd’hui, l’influence de la culture Byzantine sur la plantation des patates en Irlande au XIIeme siècle.”




Webographie :


http://www.digitalgames.fr/2008/04/21/les-jeux-video-historiques-se-divertir-en-apprenant/

dimanche 18 mai 2008

Les arts décoratifs : L’évolution du programme décoratif au château de Versailles, suivant les différentes périodes du règne de Louis XIV.


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© Eosclio

Cet exposé a été fait dans le cadre d'un cours d'informatique. Il est donc très court (10 minutes d'oral), axé sur une seule chose à la fois et donc très incomplet.


Introduction.


¤ En 1682, Louis XIV (1638 – 1715), après avoir longtemps « vagabondé » d'une demeure royale à une autre, s'établit définitivement à Versailles en 1678 en en faisant sa demeure officielle. Puis rapidement, il en fait également la demeure de la cour où il la transfert depuis Paris le 18 août 1682. Près de 20 000 personnes sont alors à résidence sur les lieux, qui n’était jusque là qu’un petit village campagnard marécageux.
¤ Son choix est guidé par une méfiance qu'il éprouve à l'égard de la capitale et de sa population aristocrate jugée difficilement maîtrisable, mais surtout sa méfiance pour la noblesse qu’il veut contenir depuis l'épisode de la Fronde
[1]. Il décide, à partir de 1661, de transformer progressivement ce qui n'est encore que le pavillon de chasse de son père en une demeure royale, en un domaine qu'il peut bâtir à son image, et surtout une parfaite prison dorée, où règneront de longues années durant le faste, le luxe et l'abondance.
¤ Le château de Versailles doit donc devenir le symbole et le centre de la France, une prison dorée pour la noblesse, une maison royale, une ambassade politique...
Versailles va ainsi devenir un modèle d'architecture et de puissance dans toute l'Europe.
¤ L’ornementation du mobilier illustre parfaitement la politique culturelle menée par le monarque. Il est donc pertinent d'étudier l'évolution du programme décoratif au château de Versailles suivant les différentes périodes du règne de Louis XIV, illustré par ses relations avec ses trois principales maîtresses. Nous examinerons dans un premier temps les prémices décoratives de la monarchie absolue. Puis dans un second temps nous analyserons l'apogée du faste au service de l'autorité. Enfin, notre réflexion se portera sur le déclin du luxe et de la magnificence.





La duchesse de La Vallière de 1661 à 1667



¤ Née le 6 août 1644 à Tours, elle entra à la cour à l'âge de 17 ans en tant que jeune fille d'honneur de la nouvelle duchesse d'Orléans[2]. Elle en vient très vite à rencontrer le roi dont elle tombe secrètement amoureuse. Ainsi, dès 1661, devient-elle sa maîtresse malgré la désapprobation de la reine mère Anne d'Autriche. Mademoiselle de La Vallière éprouve alors pour le roi un amour pur et désintéressé. En 1666, après la mort de la régente, Louise devient officiellement la favorite du roi, un an avant leur séparation.
¤ La duchesse de nature discrète n'influencera pas particulièrement la politique entamée par le jeune Louis XIV, dont le culte de la personnalité est déjà bien prononcé. La relation que le souverain entretient avec Mademoiselle de La Vallière correspond à la première campagne de transformation du château de Versailles qui passe d'un simple « rendez-vous de chasse » à un palais digne d’un monarque.
¤ Les modifications architecturales se concentreront davantage sur les jardins dont les commandes seront confiées à Le Nôtre
[3]. La transformation discrète du château donne très vite les couleurs d'un nouveau style dont le monarque absolu saura habilement user.


La mise en place d'un style : la France rayonnante
¤ Le style et la politique ne sont que les deux aspects d'une même volonté de grandeur et d'éclat. A partir de 1661, le roi impose son style à toutes les créations artistiques. Le style dit « à la française », l’ « ordre français », dont Louis XIV sera l'instigateur, est rapidement imité par toute l'Europe. Il s'agit d'une esthétique particulièrement formaliste, indifférente à la réalité, plus soucieuse de parer la nature que de la comprendre, et qui s'applique aussi bien à l'architecture, qu'aux arts décoratifs divers : peinture, orfèvrerie, mobilier, jardins…
¤ Ce style se reconnaît à l'équilibre, au goût de la symétrie, à l'ampleur des lignes et à un profond mépris pour le désordre. Le mobilier reste assez proche du style Louis XIII et l'ornementation sculptée demeure lourde. Cette dernière est omniprésente, on la retrouve notamment au niveau du piétement des consoles, des entrejambes de fauteuils, des armoires et des guéridons. Elle se manifeste sous la forme de différents motifs décoratifs, communs aux bois sculptés et aux bronzes.


¤ Ces motifs peuvent être de diverses origines :
> humaine : les masques, les mascarons et toutes les personnifications de Louis XIV en Apollon ou Roi-Soleil ayant pour objectif d'asseoir son pouvoir de manière absolue en représentant un roi tout puissant ;
> animale ;
> végétale, telles que les fleurs de lys, généralement brodées sur différents textiles comme les tapisseries ou les rideaux, qui sont des symboles essentiels de la royauté ;
> les attributs guerriers dont l'objectif est de confirmer la puissance militaire du souverain ;
> les jeux de fond ;
> les motifs empruntés à l'architecture et ceux empruntés à l'art des tapissiers.


Le lit royal
¤ Cette volonté d'octroyer aux meubles une place des plus symboliques, et à travers eux de mettre en avant le pouvoir et le contrôle du roi, est exprimée de façon très frappante par le rôle donné au lit royal. Il était en effet gardé en permanence en l’absence du roi et les seigneurs et les dames qui passaient devant devaient le saluer.
¤ Cette importance accordée au lit royal est liée à la notion de « lit d'Etat » : le lit est le siège du pouvoir royal. Il est placé dans la chambre de parement ou de parade. C’est une pièce publique utilisée pour gérer les affaires de l’Etat, le monarque disposant en parallèle d'une vraie chambre pour la nuit. Le lit était protégé d'une barrière, (appelée balustrade ou balustre), qui séparait l'alcôve où il était placé, du reste de la pièce. Dans cette même pièce se trouvait aussi un siège, utilisé par le roi pour accomplir son devoir de souverain (recevoir, accorder ses audiences, mais aussi les cérémonies du lever et du coucher du roi), et qui remplissait véritablement les fonctions du trône. À partir de 1701, ce lit se trouva au centre du château, étant certainement une manière de réaffirmer pour le roi son pouvoir alors que son déclin commençait à se faire sentir (c’est notamment l’exemple
utilisé ci-dessus) en créant ici un véritable sanctuaire de la monarchie.
¤ Une sculpture très représentative de la symbolique accordée à cette pièce, et en particulier à ce lit, est celle réalisée par Nicolas Coustou en surplomb du lit royal. Nicolas Coustou (1658-1733) appartenait à une famille de sculpteur sur bois. Il commence à travailler à Versailles à partir de 1700.
Cette pièce en stuc et dorée, qui figure une allégorie de « La France veillant sur le sommeil du Roi », consacre totalement la symbolique liée à cet objet qu’est le lit d’état.
¤ L’exemple de cette chambre est particulièrement intéressant dans le sens où il permet de se rendre compte de l’importance accordée aux arts décoratifs dans la vie quotidienne de la cour, puisque ici, tout est mis en place pour imposer le pouvoir et la puissance du roi. Le lit, pièce essentielle de son pouvoir royal, mais aussi tous les éléments annexes ont ce même rôle : du parquet, à la balustrade en bois sculpté et doré, jusqu’aux murs avec les tentures, qui étaient changées en fonction des saisons (en hiver, elles étaient en velours cramoisi brodé d’or, et en été, en brocart d’or et d’argent sur fond de damas cramoisi).



La marquise de Montespan de 1667 à 1683
¤ Elle naquit en 1641 à Château de Tonnay-Charente (Saintonge) et arriva à la cour en 1660 pour devenir fille d'honneur de la reine Marie Thérèse d'Autriche[4]. Elle devint ensuite maîtresse du roi en 1667 (officiellement en 1674), succédant ainsi à Mademoiselle de La Vallière avec qui elle fut amie.
¤ D'esprit vif et cultivé, elle bénéficia d'un statut quasi-royal et joua un rôle déterminant dans les affaires politiques de Versailles. En effet, les ministres et les courtisans se soumirent à elle, sachant son influence. On lui demandait aussi régulièrement conseils. Elle connut donc
tous les secrets d'Etat.
¤ La marquise de Montespan possédait aussi un goût exacerbé pour le faste, le luxe et l’exotisme et influença directement le roi dans ses choix décoratifs en développant chez lui un goût pour la magnificence. De plus, elle fut une grande protectrice des Beaux-Arts en contribuant à l'essor d'artiste tel que Molière, Lully, La Fontaine, etc. Le « règne » de la marquise de Montespan marqua la maturité et l'expansion du pouvoir du roi.


Versailles politique : le mobilier d'argent
¤ La relation du roi avec la marquise de Montespan marqua l'entrée de Versailles dans une ère politique nouvelle. Louis XIV désirait absolument contrôler la noblesse. C'est alors qu'il décida de l'attirer à Versailles afin de l'avoir sous son autorité. Il y organisa donc des fêtes, plus somptueuses les unes que les autres, séduisant ainsi les gens avides de pouvoir.
¤ Dès 1664, le roi passa la commande de mobilier en argent, déjà très à la mode à l'époque (cour de Christine de Suède ou Anne d'Autriche, mère de Louis XIV). L'exception de celui-ci réside dans le fait qu'il est en argent massif, ce qui n'était pas le cas pour les autres cours d'Europe dont le mobilier était constitué de plaques d'argent épaisses, travaillées au repoussé et fixées sur des structures en bois.

¤ Ces meubles furent présentés lors des cérémonies afin d'éblouir l'assistance. En 1682 la cour s'installa officiellement à Versailles, après l'annonce faite en 1678 de ce mouvement, le mobilier trouva donc sa place dans le Grand Appartement.
¤ Ce mobilier fut imaginé par Le Brun[5], et fabriqué à la manufacture Royale des Gobelins[6], aux galeries du Louvre et par les plus éminents orfèvres de la corporation parisienne.
Ils furent exposés dans l’enfilade des sept salons qui conduisaient du salon d’Hercule à la galerie des Glaces, passage obligés des grands du royaume à Versailles (pièces publiques). Toute la gamme des luminaires y était représentée : lustres, girandoles, appliques.



¤ Sur les quatre côtés du Salon de Mars, la pièce était ornée de grandes pièces d’argent tel que le souligne Béatrix Saule, conservatrice en chef du château : « Des buires s’élevant à deux mètres de hauteur, des seaux à proportion, des tables flanquées chacune de deux guéridons et surmontées de grands miroirs. Les luminaires d’argent et les accessoires de cheminée étaient nombreux, car ce métal joue volontiers avec le feu, avec les flammes du foyer. L’invention des grands miroirs va désormais lui permettre de jouer aussi des reflets. ». Ce jeu de lumière intervient ici comme encore une autre représentation du soleil, à la hauteur des ambitions de Louis XIV : "Figurez-vous quel est l’éclat de cent mille bougies dans cette grande suite d’appartements, je crus que tout y était embrasé. Les ameublements d’or et d’argent avaient encore leur éclat particulier, avec les dorures et les marbres…"
[7].
¤ L'argenterie de Louis XIV fut estimée à 200 pièces représentant 20 tonnes d'argent massif. On comptait parmi ces meubles plusieurs tables, d'opulents miroirs (jusqu'à 450kg), d'imposantes bancelles dont les dossiers étaient ornés de broderies précieuses protégées par des housses de taffetas crème. « Ce gigantisme, remarque Béatrix Saule, pourrait paraître barbare sans la délicatesse de la ciselure qui ornait toutes ces pièces de scènes mythologiques, d’emblèmes royaux ou de références au dieu solaire Apollon. ».
¤ Ce mobilier tout à fait extraordinaire est lui aussi mis au service de la grandeur du roi, à la fois par la richesse de son matériaux premier mais aussi par la finesse de sa réalisation et par les thèmes qu’il évoque, à travers des allégories à la gloire du roi. En plus de sa fonction première liée au plaisir et à la fête, le décor devient, ici encore, instrument de pouvoir : « A mesure qu’il s’avançait dans les chambres des résidences royales, l’argent se faisant de plus en plus présent, le visiteur se sentait approcher du cercle des élus de Dieu »[8].
Cependant cette opulence d'argent ne dura pas. Suite à la révocation de l'Edit de Nantes, l'Europe protestante se coalisa
contre la France. Afin de soutenir l'effort de guerre, et toujours dans cet objectif de montrer l’exemple et de contrôler la bourgeoisie à qui il demande de faire de même, Louis XIV annonça à sa cour, en 1689, la fonte de son mobilier d'argent.


¤ Il nous est aujourd’hui connu à travers différentes sources, écrites, notamment par le Journal du garde-meuble ou par les comptes des bâtiments du roi, ou les dessins et les cartons de Le Brun, ou encore par le témoignage laissé des mobiliers des autres cours.





¤ Née en 1635 dans la prison de Niort elle épousa en 1652 le célèbre poète Scarron. Grâce à lui, elle entra dans un cercle littéraire et fit la connaissance de Madame de Sévigné et de Madame de la Fayette.
¤ A la mort de son mari en 1660 elle se fit remarquer par la marquise de Montespan et devint la gouvernante de ses bâtards. En récompense de ses services et surtout de l’amour maternel qu’elle donna sans compter à ses enfants, Louis XIV lui accorda le domaine de Maintenon qu'elle érigea en marquisat.
¤ Elle succède rapidement à madame de Montespan dans le cœur du Roi par son esprit, sa sagesse, sa gentillesse et avant tout sa bienveillance. La marquise de Maintenon se plut à faire la morale au roi en l'incitant à se rapprocher de son épouse. De plus, la Marquise de Montespan étant compromise par l’Affaire des Poisons[9] et la mort de la reine le 30 juillet 1683, il l'épousa alors en secret dans la nuit du 9 au 10 octobre 1683.
¤ Cependant elle ne se comporta jamais comme une reine. Son comportement dévot influença fortement le roi dans le sens de la rigueur morale, de l'austérité et de la dévotion. Les fêtes et les divertissements disparurent peu à peu de Versailles et Louis XIV se plaisait de plus en plus à la consulter quotidiennement au sujet d'affaires politiques.

L'embaumement de Versailles : retour à la sobriété
¤ En 1683, Louis XIV avait réalisé son rêve : Versailles était devenu un centre politique en France et en Europe et le symbole de son rayonnement. ¤ Sous l'influence dévote de Madame de Maintenon et appauvrit par les guerres successives, il cessa d'organiser des fêtes, des cérémonies et se retira dans l'atmosphère plus intime de Marly ou du Trianon. Les courtisans regagnèrent peu à peu Paris ou la Province.
¤ L'un des changements décoratifs significatifs illustrant ce revirement d'attitude de la part du roi se trouvait probablement au niveau de la nef. Cette dernière était un vaisseau d’orfèvrerie en forme de navire démâté, qui paraissait au repas public du roi. C’était un symbole royal très fort. Du début de son règne et jusqu'en 1683, Louis XIV en fit un usage ordinaire ce qui représentait une nouveauté. De cette manière il représentait une fois encore son autorité et sa puissance aux nobles et courtisans qui l'entouraient. Mais à partir de 1683 et après le mort de la reine, il prit la décision de dîner seul dans sa chambre devant les hommes de la cour et sans nef.

¤ Cet abandon d'un des attributs royaux les plus forts marqua le vieillissement du roi qui se montrait bien moins en monarque absolu. La décoration se fit alors plus fine, plus légère et plus libre annonçant ainsi le style de la régence.


¤ Ainsi, le programme décoratif de Versailles est-il constamment caractérisé par la présence de la figure du souverain présenté sous forme d'Apollon ou de roi soleil chantant à sa gloire et à sa puissance. Cette dernière est sans cesse rappelée par le moindre motif décoratif. Le monarque, à travers la décoration de son palais notamment, contrôle de cette manière les courtisans, assujettis à tout ce faste, par le luxe et l'ornementation grandiose et foisonnante. De plus, le roi va arborer les richesses de la France aux yeux de l'Europe entière faisant du style dit « à la française » une référence d'excellence. Car en effet, de ce fait, ce que l’on nomme aussi l’ « ordre français » se place de par le nom et la renommée au rang de l’art grec et de l’art romain, arts idéaux à l’époque car intemporels donc absolus. L'architecture et les jardins dont la symétrie et la finesse éblouissent, sont bientôt imités partout dans le monde. Cependant, à la fin de sa vie, le souverain reconsidère ses valeurs morales et sa soif de puissance s'estompe peu à peu, laissant place à une attitude emplit d'austérité, de dévotion.


¤ Cette étude brève de la décoration du château de Versailles nous permet ainsi de considérer l’évolution d’une mode, d’un style, en fonction de son contexte ; ici en fonction de la vie du monarque et de la politique de la France du Grand Siècle.
¤ On peut alors se demander si l’art n’est-il pas toujours politique ? Le lien entre les deux est en effet très étroit. L’art est à la fois un reflet de la société et à la fois un enjeu politique, culturel, idéologique et économique, dont va pleinement tirer profit Louis XIV.
¤ Nous voyons dès lors que l’art décoratif pour l’art décoratif n’a pas lieu d’être sous ce règne ou tout du moins il est détourné pour adopter une signification bien plus importante que la simple notion de décoration à laquelle il est dévolue au départ.
¤ Ainsi un simple objet, sous Louis XIV, devient le symbole de la puissance et du génie d’un pays tout entier et participe alors à la magnificence et l’image de grandeur de la France dans le monde.

Notes : [1] De 1648 à 1653. Période de troubles menés par la noblesse pendant la régence, contre le cardinal Mazarin.
[2] Henriette d’Angleterre (1644 – 1670). Epouse son cousin germain Monsieur, Philippe Ier d’Orléans (1640 – 1701), frère cadet de Louis XIV, le 31 mars 1661. Fut longtemps soupçonnée d’être la maîtresse du Roi, Monsieur ayant un penchant pour les hommes plus que pour les femmes.[3] Paysagiste (1613 à 1700). Fameux jardinier de Louis XIV. Employé exclusivement par le monarque dès le 17 août 1661 avec les deux autres plus grands artistes du royaume qu’étaient Le Vau et Le Brun aux suites de la fameuse fête de Fouquet à Vaux-le-Vicomte.
[4] Infante d’Espagne (1638 – 1683). Epouse son double cousin germain, Louis XIV le 6 juin 1660 à Saint Jean de Luz.
[5] Premier peintre du Roi sous Louis XIV (1619 – 1690). Sa plus grande œuvre est sans contexte le plafond de la Grande Galerie (Galerie des Glaces).
[6] Manufacture de tapisserie à paris. Crée en 1601 sous l’impulsion d’Henri IV.
[7] L’Abbé Bourdelot http://www.maisonapart.com/edito/decoration-quand-versailles-brillait-de-mille-feux-974.php
[8] Mogens Bencard, président du Rosenborg, dans l’inventaire de sa collection. http://www.liberation.fr/culture/298362.FR.php
[9] Affaire qui secoua Paris et la Cour de 1670 à 1680. Des poisons et des philtres d’amours auraient été fais à partir de restes de fœtus, d’enfants et animaux. La Marquise de Montespan fut accusée par La Voisin (principale accusée) d’avoir fait des philtres d’amour et des messes noires pour garder le Roi auprès d’elle.





Principaux sites utilisés pour le texte : ¤ Château de Versailles, site du château et du domaine de Versailles et de Trianon.
Adresse : <
www.chateauversailles.fr> [dernière consultation : 05/05/08].
Un des sites principaux de nos recherches. La base de donnée et de documentation, sans toucher proprement notre sujet, nous permis de nous renseigner sur le rapport entre les arts de Versailles, le pouvoir et le roi. Nous avons aussi pu y voir la manière d'aborder le sujet et l'évolution que peux avoir un art selon les périodes d'un règne.
Cependant le site étant principalement fait pour le tourisme, il est difficile d'y trouver des informations précises, sur un sujet précis.
¤ Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles.
Adresse : <
http://crcv.revues.org> [dernière consultation : 03/05/08].
Un autre site très important. Certains chercheurs du château, comme Béatrix Saule (conservatrice en chef du château), y écrivent des articles destinés à paraître dans la revue de recherche du château. Quelques articles nous ont permis de bien approfondir.
Par ailleurs, les informations ne sont pas contestables, provenant de chercheurs professionnels travaillant sur le site même.
¤ Connaissances de Versailles. Forum des passionnés du château.
Adresse : <
http://versailles.forumculture.net/> [dernière consultation : 07/05/08].
Il s’agit d’un forum mais les messages y sont inscrits sont très pertinents et les personnes laissent en général des liens vers des sources de qualité. Beaucoup de professionnels écrivent sur ce site et malgré les amateurs, le sérieux se ressent. Les informations sont vérifiables et justes. Le forum aborde quasiment tous les thèmes touchant au château et au domaine qui nous a permis de compléter, surtout approfondir et donner des exemples dans notre sujet.

Principaux sites utilisés pour l’iconographie :
¤ Photo – RMN, site des photographies prises pour la Réunion des Musés Nationaux.
Adresse : <
www.photo.rmn.fr> [dernière consultation : 05/05/08].
Base de données photographiques très complète. Possibilité de recherches très précises. A principalement servit pour l'iconographie d'objet, de pièces.
¤ Base Joconde, site rattaché au Ministère de la Culture.
Adresse : <
www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr> [dernière consultation : 03/05/08].
Base très complète et reconnue principalement pour les tableaux.

© Eosclio

Dossier historique : La fréquentation des tournois au début du XIIIe siècle d'après l'histoire de Guillaume le Maréchal.


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© Eosclio

INTRODUCTION.


¤ Le tournoi au Moyen Age est une pratique sociale très importante. Il est une forme de combat codifié, mais violent et dangereux apparu vers la fin du XIe siècle et qui atteint son apogée vers 1200 dans la France du Nord. Le mot même de « tournoi » apparaît en 1157 sous la plume d’Otton de Freising (évêque, historien, oncle de Barberousse ayant écrit des chroniques).
¤ Cette pratique s’exprime à travers le texte étudié qui provient de l’Histoire de Guillaume le Maréchal. Ce texte est la biographie du « meilleur
chevalier au monde » (Duby), Guillaume le Maréchal (1146-1219), rédigée à la demande et par les finances de son fils, également nommé Guillaume, juste avant la mort du grand chevalier. Cette biographie fut rédigée par un trouvère nommé Jean, entre 1220 et 1226, en vers anglo-normands. Les informations proviennent surtout du fidèle écuyer du Maréchal, Jean de Erlay.
¤ Guillaume le Maréchal, Comte de Pembroke et de Striguil était fils de Jean le Maréchal, sénéchal d’Angleterre. Exemple parfait du chevalier, il est responsable de l’éducation d’Henri le Jeune (1155 – 1183), roi d’Angleterre. Sa réputation de chevalier exemplaire lui vaut d’exercer, en 1216, la régence du royaume d’Angleterre pendant la minorité d’Henri III (1207 – 1272).
Il participe ensuite à la résistance face aux entreprises de Louis VIII de France, ce qui le fit passer pour le modèle du patriote anglais. Ainsi ce texte constitue le portrait idéal du chevalier loyal et courageux avec plus de deux mille cinq cents vers consacrés à seize rencontres mémorables, échelonnées de 1173 à 1183.
¤ Que nous apprend l’Histoire de Guillaume le Maréchal à propos des tournois, et donc de l’idéologie et de la pratique chevaleresque au début du XIIIe siècle ?
¤ Nous allons donc dans un premier temps définir ce qu’est un tournois avant de voir quels en sont les modalités et le déroulement. Enfin nous aborderons les différents rôles qu’ont les tournois vis-à-vis des chevaliers et de la chevalerie en général. Notons qu’aidé par la biographie d’un chevalier, nous retrouveront des exemples où celui-ci s’est illustré, tout au long de l’explication.



I - Le sens du tournoi.
A / Définition du tournoi. ¤ Les tournois sont une part de l’apprentissage du combat. Ce sont des exercices militaires qui se déroulent dans une lice, entourée de spectateurs. C’est un véritable combat équestre à armes réelles. Il s’agit de batailles fictives et réglées qui mettaient aux prises des jouteurs professionnels. Du XIIe au milieu du XIVe siècle, les tournois désignent en effet une bataille opposant deux troupes de plusieurs dizaines de combattants à cheval.
¤ Il ne s’agit en aucun cas d’un spectacle courtois mais d’une pratique collective où les chevaliers s’occupent à se désarçonner à la lance ou à la masse, afin de capturer et rançonner chevaux et cavaliers. Le tournoi, à cette époque, se solde alors par des morts et des blessés.
¤ Malgré une condamnation de l’Eglise, ils continuent d’avoir la faveur de l’aristocratie et celle du peuple, pour qui ils constituent une fête. Ces batailles transposaient et théâtralisaient les rivalités féodales mais aussi perpétuaient d’une certaine manière le souvenir d’anciens conflits.

B / Moment et lieu où ils sont organisés.
¤ L'auteur nous informe que la fréquence des tournois est d'environ un par quinzaine. Dans toutes les provinces, les rois et princes souverains, aux jours de fêtes et réjouissances ou quand ils étaient obligés de tenir cour plénières, ils avaient coutume de dresser des tournois où les chevaliers combattaient les uns contres les autres.
¤ Les joutes se déroulaient principalement dans un espace allant de la Normandie occidentale à la champagne et à la Flandres, le Nord de la France accueille alors le plus de tournois.
¤ Les tournois se déroulent à proximité d'un lieu donnant aux chevaliers la possibilité de mettre un pied à terre afin de se restaurer, de se divertir et d'attendre l'arrivée des autres chevaliers. Généralement le lieu est choisit auprès d'une grande ville qui avait une rivière et une forêt dans le voisinage.
¤ Le lieu même où se déroulaient les combats comportait un vaste emplacement destiné à la lice, entouré de gradins élevés, d'amphithéâtres circulaires, de portiques… Ils étaient ornés de riches draperies et d'écussons. Ils se déroulaient alors surtout dans les cours des châteaux ou dans des lices aménagées à cette fin, hors de la ville.
¤ On ne se limite pas l’action en un champ clos mais on utilise toutes les ressources d’un site en plein air, au pied d’un château ou à l’extérieur des remparts d’une ville. Généralement cela se présente souvent comme le lieu d’une troupe « de l’intérieur » et une troupe de l’ « extérieur ».

C / Les acteurs du tournoi. ¤ Les comtes et barons viennent aux tournois avec leurs chevaliers afin de s'affronter et prouver leur valeur. Ils couraient ces tournois et participaient au prestige de ceux-ci. Ainsi, au tournoi de Lagni sur Marne, l'auteur accentue sur le fait qu'il y ait « le jeune roi », « dix-neuf comtes et le duc de Bourgogne » et il parle de ce tournoi comme d' « un tournoi tel qu'on en vit jamais » , ce qui n'est pas anodin. De plus, l'auteur parle de « la plaine [qui] disparaissait sous les combattants » et d' « un tournoi […] très bon, même avant que le roi et le comte y eussent pris part » , ce qui marque une exagération de la part de celui-ci pour mettre en avant l'importance de ce tournoi et des gens qui s'y trouvaient. La présence à Lagni de dix-neuf comtes et du duc de Bourgogne est mentionné avant celle des trois milles chevaliers. Si à l’intérieur des lices, le plus humble des chevaliers peut l’emporter, il y a tout de même certaines limites dans la mesure où la renommée ne dépend pas que des exploits accomplis mais aussi de la qualité sociale des jouteurs.
Par ailleurs, certains ducs et comtes (sires de Blois et de Boulogne par exemples) encourageaient ces compétitions dans le but de s’attirer l’estime de la fine fleur de la chevalerie.
¤ Le roi, Henri le Jeune, fils d’Henri II Plantagenêt, lui-même y allait, accompagné de sa mesnie qui avait un très grand prestige. Elle comportait environ quatre-vingt chevaliers au tournoi de Lagni mais il en avait bien plus à sa charge (près de deux cent). Ceux-ci recevaient une prime de 80 sous par jour.
¤ Les tournois étaient universels dans l'Europe du début du XIIIe. Les gens venaient de toutes parts de l'Occident pour combattre et ainsi étendre leur prestige sur tout le territoire occidental.
L'auteur parle des différents groupes et acteurs présents au tournoi de Lagni, ce qui nous permet de remarquer la variété des régions de l'Occident représentées. Il précise d'ailleurs qu'ils les nomment par rapport à des témoins oculaires pour légitimer ses dires. Ainsi, par exemple pour le tournoi de Lagni, il parle des Français qui prennent la première place dans son énumération grâce à leur grande valeur et l'honneur acquis par leur pays. Puis il parle des Flamands et des Anglais dont le premier d'entre eux et sur qui il met l'accent est Guillaume le Maréchal dont le prestige le place premier dans cette énumération. Il poursuit ensuite avec les Normands qui durant le règne du jeune roi Henri ont acquis un grand prestige (« Ils étaient grains alors, et maintenant ils sont paille » (l.48)). Il termine son énumération avec des groupes moins prestigieux. On remarque dans cette énumération un ordre hiérarchique bien déterminé : les plus prestigieux, ceux qui acquièrent de plus en plus de prestige et les moins prestigieux.


II - Déroulement d'un tournoi.


A / Organisation des tournois.
¤ Les tournois étaient souvent organisés lors de cérémonies notamment. Le tournoi est donc festif : « On se mit à danser au son d'une chanson que chanta le Maréchal ». La fête est d'ailleurs organisée aux alentours du tournoi.
¤ Des hérauts se chargeaient de faire la publicité des tournois. Cela avait un certain succès puisqu’au tournoi de Lagni par exemple en 1183 rassembla près de trois milles chevaliers. Pour ce faire, les hérauts allaient crier et afficher des bannières, et formaient des sortes d’équipes (comme les Champenois, les Français ou les Normands) afin d’amener ces gens au tournoi. Guillaume le Maréchal fut d’ailleurs celui qui redora l’équipe d’Angleterre.
¤ Généralement il y a des escarmouches (plaidisses ou commençailles) qui commencent un tournoi mais il arrive que l'on commence directement les combats comme au tournoi d'Epernon. Cela se passait juste avant le choc frontal entre les deux troupes.
¤ Au sein de la mêlée confuse, les lances se brisent, les meilleurs émergent et la valeur sort victorieuse : « Chacun frappe le plus qu’il peut. Chacun veut montrer comme il est preux ». La prouesse se mesure d’ailleurs par nombre de prises opérées.
¤ Parfois, le tournoi fini, il était possible à un vaincu de requérir un nouveau combat le jour même ou un autre jour. C'est ce que fit Matthieu de Wallincourt au tournoi d'Eu qui demanda à rencontrer une seconde fois Guillaume le Maréchal.

B / Deux groupes face à face. ¤ Dans les tournois il y a des confrontations entre certains groupes qui se sont formés afin de d'avoir une entité supérieure en force. Ainsi, au tournoi entre Anet et Sorel, les Français regroupés étaient les plus forts avant que n'arrivent les chevaliers du roi Henri, menés par Guillaume le Maréchal.
¤ A cette époque, vu la situation politique, les Normands et les Anglais faisaient face à la coalition entre les Français, les Champenois et les Bourguignons.
¤ Dans les faits, des troupes de chevaliers s’opposaient en une mêlée confuse. On peut noter que la littérature arthurienne semble en avance sur ce point par rapport à la réalité car celle-ci parle dès la fin du XIIe siècle de combats singuliers, ce qui n’était pas le cas.
Ces combats collectifs étaient faits de charges et d’embuscades destinées à isoler certains groupes d’individus, si possible bien nés ou prestigieux, afin de les capturer pour obtenir une rançon ou bien de les désarçonner pour s’emparer de leur cheval. Le but était d’accumuler du butin et d’accroître sa gloire et non pas tuer l’adversaire, même si les accidents n’étaient pas rares.
¤ Le parti totalement rompu et défait, abandonnait le camp et s'enfuyait dans la forêt et les vainqueurs se ralliaient à leur enseigne.

C / Gains et dettes. ¤ Les combattants viennent aux tournois attirés par les prix qu'ils peuvent en retirer.
Le tournoi est en effet un moyen d'étendre ses richesses par ses gains de combats. Les gains peuvent être pécuniaires ou en natures (montures, armures…).
La présence de mercenaires nous suggère d’ailleurs que la recherche de prouesse n’était pas désintéressée. Les jouteurs étaient en effet côtés selon leur valeur, entretenus et pensionnés comme de véritables professionnels de l’exploit.
¤ En fin de journée, ceux qui avaient gagnés remportèrent leurs gains et ceux qui avaient perdus « cherchèrent des cautions ou donnèrent des gages ».


III - Démonstration des valeurs chevaleresque à travers l’exemple de Guillaume le Maréchal, le « meilleur chevalier du monde » (Duby).


A / Rôle de divertissement. ¤ Le Roi, Henri le Jeune était peu regardant quant aux dépenses des tournois car cela est pour lui source de divertissement. Il y venait et y participait avec ses chevaliers.
Le roi use également de ces tournois où il se rend très souvent afin d'acquérir de l'honneur et des gains. Ces organisations de tournois et la participation du roi contribuent en effet à son image, ce que l'on remarque par ailleurs dans la dernière ligne du texte à travers la vision de l'auteur : « En lui s'unissaient toutes les qualités qui forment sa gentillesse » (l.70).
¤ Le combat était une « raison sociale » de la caste chevaleresque, une source de profit et un remède radical contre l’ennui engendré par la monotonie de la vie castrale.
Ce jeu de guerre répond en effet à plusieurs nécessités politiques et économiques. Il est un « exécutoire », un « champ de défoulement » pour les bellatores que les chefs de principautés et les rois commencent à vouloir discipliner.
¤ Les fêtes qui s'y déroulaient étaient organisées notamment avec des ménestrels. Cela est une autre forme de divertissement apporté par le tournoi. On y danse, chante et fait des rondes.
Ils étaient alors établis pour donner divertissement et comme noble assemblé où la vertu était comme épurée.

B / Démonstration de pouvoir et de l'idéologie chevaleresque.
¤ Guillaume le Maréchal est un combattant et un chevalier prodigieux. Lors du tournoi près de Dreux, il affronta les Français avec la mesnie du roi. Certains français s'étant réfugiés dans une motte en attachant leurs chevaux au hérisson, Guillaume le Maréchal monta la motte et prit deux chevaux qu'il fit descendre puis les remonta, ce qui fut vu comme une grande prouesse.
Guillaume le Maréchal se battu également par exemple contre Matthieu de Wallincourt au tournoi de Eu en Normandie et gagna, il remporta ainsi sa monture deux fois de suite dans la même journée.
Dernier exemple, où il prouva une fois de plus sa bravoure, à Epernon, il attaqua avec un compagnon un groupe de Bourguignons. Ces derniers s'acharnèrent sur lui mais il résista avec vaillance, sérénité et courage jusqu'à ce qu'une troupe de Normands viennent à leur aide.
¤ Les tournois sont un moyen pour le roi et autres nobles de démontrer leur puissance et leur supériorité face aux princes et autres nobles. En effet, le baron de Nevers par exemple arriva accompagné de près de milles chevaliers avec un équipement flambant neuf.
Les tournois constituent l’essentiel de la vie militaire et le moyen le plus sur pour acquérir une renommée et une fortune. Cela fait également parti du propre du noble, à aspirer à autre chose et d’éprouver une tension « entre la vie qu’il mène et celle qu’il souhaiterait mener ». Cela est moins par soif de richesse ou de pouvoir que par peur de tomber dans la médiocrité.
¤ Par la sévérité et la droiture qui se déroulaient lors des tournois, les princes et les rois forçaient la noblesse à remplir ses devoirs et suivre la vertu par l'appréhension du déshonneur qu'elle recevait en public. Ainsi, par le désir que les gentilshommes avaient d'être reçus au rang de combattants les rendaient honnêtes gens, part indispensable de l'idéologie chevaleresque.
¤ La courtoisie et la générosité des chevaliers faisaient aimer et pardonner leur gloire. Ecole de violence, de ruse et de convoitise, le tournoi contribue moraliser les combattants. Il leur enseigne le respect de l’adversaire. Ainsi ceux qui avaient vaincus se consolaient de leurs disgrâces passagères, mais encore devenaient les fidèles amis et les compagnons de leurs adversaires.
Guillaume le Maréchal fut un de ces Hommes de bonté, sachant récompenser. En effet, à un jeune chevalier qui chanta une chanson en son nom ; il partit affronter des chevaliers arrivant sur le lieu du tournoi, il remporta alors une monture dont il fit don à ce jeune héraut. Cela démontre son esprit chevaleresque, il est un exemple de ce que doit être au chevalier au XIIIe siècle.


C / Ascensions sociale ou comment devenir chevalier.
¤ Dès le plus jeune âge les jeunes gens appelés à devenir chevalier sont livrés à des exercices d’équitation, des jeux de lutte ou d’escrime. Ils peuvent ensuite vers l’âge de dix ans, être totalement coupés de leur famille et placés auprès d’un seigneur. Ainsi en est-il pour Guillaume le Maréchal que son père envoie en Normandie, auprès du chambellan du roi d’Angleterre, Guillaume de Tancarville. Dès lors, étant confiés pour être élevés dans l’art de la guerre, des exercices physiques leurs sont imposés, tantôt sous forme de divertissement, tantôt sous forme de concours.
¤ Le plus important de l’instruction militaire est alors d’acquérir de l’expérience en suivant un chevalier dans des expéditions guerrières. Ainsi, Guillaume le Maréchal reste huit ans dans cet état préparatoire avant d’avoir à vingt ans l’adoubement qui le fait entrer dans les spécialistes du combat à cheval.
¤ Les plus grands chevaliers viennent aux tournois (comme à celui entre Anet entre Sorel, vers Dreux) afin d'accroître leurs prix donc leurs gains. Cela est l'un des facteurs qui attirent autant de chevaliers aux tournois.
¤ On apercevait aux tournois de jeunes sires espérant y mourir ou y trouver la gloire à défaut du bonheur. Les tournois étaient en effet l’occasion de faire prospérer la chevalerie en procédant à des séries d’adoubement.
C’est un moyen d’existence pour un grand nombre de jeunes gens sans espoir d’héritage. C’est d’ailleurs dans les horreurs de la guerre que les chevaliers acquièrent leur valeur « car nul homme n’a le moindre prix avant d’avoir pris et donné bien des coups ».

¤ Le prestige social acquit était alors convertible en divers capital social (moyens de domination). En effet, à travers la capture de chevaux et de rançon c’est un capital plus symbolique que matériel qui est accumulé. Ce qui est visé par les chevaliers n’est alors pas un prix (médaille, coupe…) mais son propre prix, sa valeur sociale. Le tournoi est en effet essentiellement par des jeunes (juvenes), c'est-à-dire des chevaliers non mariés, non pourvus de terres, souvent cadets de familles (comme Guillaume le Maréchal ou Henri le Jeune, surnommé ainsi de part cette situation) pour qui le tournoi, par les gains matériels et le prestige, s’avérait être un moyen de pénétrer dans l’aristocratie. On passait alors de la jeunesse à l’âge adulte, l’âge d’exercice du pouvoir.
¤ Les chevaliers sont rejoints par des dames et demoiselles. Le mariage peut en effet faire parti des gains et dès lors participer à une ascension sociale (hypergamie). Cela permet par ailleurs la conversion du capital symbolique en capital social. Guillaume le Maréchal parvint ainsi à devenir comte de Pembroke par sa femme. Le mariage est donc une sorte de rite de passage pour ceux qui voulait gagner du pouvoir, en même temps qu’une instrumentalisation du mariage, ce qui est donc condamné par l’Eglise.
¤ Selon le prestige des comtes et des barons, certains chevaliers choisissent de se mettre à leur service dans le cadre des tournois. Cela était également du à l'idéologie chevaleresque qui faisait aimer la gloire de certains. L'association de chevaliers était fréquent et permettait un amas de gain plus important et donc plus de prestige.
Le prestige de Guillaume le Maréchal était tel, que Roger de Gaugi, qui faisait partie des la mesnie du roi, voulu être son compagnon. Il le devint de par ses actes de chevalerie. Ainsi tout deux combattirent ensembles et gagnèrent « plus de gain que six ou huit des autres ».



CONCLUSION.


¤ Un chevalier inaugure sa carrière militaire au sortir de l’enfance et la nourrie de diverses expériences, de diverses chevauchées ou de tournois fameux, ce qui se racontent avec bien des détails dans les biographies chevaleresques.
¤ Destinés à accroître la cohésion des groupes par l’exercice commun, le compagnonnage guerrier et les plaisirs partagés ; les tournois ont largement contribués à créer la mentalité chevaleresque et à élaborer une éthique propre à la chevalerie : culte du courage et de l’exploit, respect de l’homme désarmé et à terre, respect de la parole donnée et soucis de la renommée.
¤ Les récits de tournois affichent les valeurs et l’idéologie chevaleresque mais cela, afin de mieux en révéler la fragilité en raison d’un décalage qui commence à s’opérer au XIIIe entre la représentation des chevaliers et l’évolution sociale.


BIBLIOGRAPHIE. Ouvrages généraux :
¤ FAVIER (J.), Dictionnaire de la France médiévale, Fayard, 1993.
¤ GAUVRARD (C.), de LIBERA (A.), ZINK (M.), Dictionnaire du Moyen Age, Puf, Paris, 2002.
¤ Le GOFF (J.), SCHMITT (J.-C.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval, Fayard, 1999.

Ouvrages spécialisés :
¤ Histoire de Guillaume le Maréchal, t.3, édition Meyer, Paris, 1891.
¤ GONTHIER (N.), Education et cultures dans l’Europe occidentale chrétienne (du XIIe au milieu du XVe), Ellipses, Paris, 1998.
¤ HEULLANT-DONAT (I., sous la direction de), Educations et cultures – Occident chrétien au XIIe – mi XVe, Tome 1, Clefs concours, Atlande, 1999.
¤ MARTIN (H.), Mentalités médiévales (XIe – XVe), Nouvelle Clio, Paris, 1996.
¤ MORSEL (J.), L’aristocratie médiévale (Ve – XVe), Armand Colin, Paris, 2001.
¤ ROY (J. J.-E.), Histoire singulière de la chevalerie, édition de Bonnot, Paris, 1993.

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H. Rigaud, Louis XIV en costume de sacre, 1701.

Hyacinthe Rigaud, Louis XIV en costume de sacre, 1701, huile sur toile, 277 x 194, Département des Peintures, Musée du Louvre, Paris.



Introduction


Hyacinthe Rigaud et la commande du Roi Soleil
¤ Jacinto Rigau y Ros, dit Rigaud (1659 – 1743), peintre et courtisan à Versailles, a commencé sa carrière de portraitiste à Paris en 1681 alors que Louis XIV règne seul depuis 20 ans et est a l'apogée de son règne.
¤ Ce Catalan, né à Perpignan au moment où la France annexe le Roussillon, travailla dans l'atelier d'Antoine Ranc qui lui fit découvrir l'art de Van Dyck (considéré comme le Van Dyck français juste après sa mort). Il fit ses études à l'Académie Royale de Peinture et de Sculpture. Il s'est spécialisé dans l'art du portrait, étant à l'aise dans les portraits éclatants et somptueux, ambitieusement mis en scène. Dans son atelier, il y a plusieurs peintres spécialisés (dans les drapés, les fleurs…) et lui peaufine les visages.
¤ Un grand portrait d’archevêque le fait remarquer en 1685 par de hauts personnages de la cour. Rapidement Monsieur, frère du Roi (Philippe d'Orléans), et toute l’aristocratie lui passent commande. En 1695, Louis XIV pose une première fois pour lui en armure.
¤ En 1700, il devient académicien (membre de l’ « Académie de peinture et de sculpture », fondée par Mazarin en 1648. Les artistes qui en font partie sont donc reconnus par le pouvoir royal) et exécute, l’année suivante sa composition la plus célèbre qu’est le portrait en pied de Louis XIV en costume de sacre. 
« La vérité brillait dans tout ce qu’il faisait […]. Rigaud savait donner à
ses portraits une si parfaite ressemblance, que du plus loin qu’on les
apercevaient, on entrait pour ainsi dire en conversation avec les personnes
qu’il représentai ». – d’Argenville, un de ses clients. –
¤ Ce tableau soulève deux aspects : la représentation d'un roi, et un roi de représentation.
¤ Comment ce portrait d'apparat permet-il la transsubstantiation d'un individu en monarque absolu ?

Analyse formelle
* Format rectangulaire, très grande dimension (277x194, influence sur le spectateur).
* Personnage sur une estrade > éloignement.
Personnage encadré par rideaux (on ne sait pas comment il tient), colonne et tabouret.
* Fond obstrué par le rideau et colonne antique. Lieux visible seulement sur la droite > intérieur mais indéterminé. L'architecture est reléguée au profit des objets.
* Personnage au centre de la composition, en pied et presque sur toute la surface > le regard se porte d'abord sur lui, puis sur ce qui l'entoure.
Opulence des drapés, posture solennelle du personnage attire le regard.
* Inclusion du spectateur : regard du personnage, incite à le regarder.
* Lumière de face, de source inconnu : illumine le visage et l'habit du personnage > le met en valeur.
* Couleurs majeure : blanc (monarchie, royauté), or (richesse, distinction sociale), pourpre (pouvoir), bleu.
Rendu des matières : marbre, velours, dentelle, perruque…
* Repentir : sangle sous le genou.
* Inscription sur base colonne : "Peint par Hyacinthe Rigaud / 1701 –".

I - Un portrait souvenir 
¤ Commandé par Louis XIV pour être offert à son petit fils, le duc d’Anjou, qui vient de partir pour l'Espagne dont il devient le Roi sous le nom de Philippe V (décembre 1700). Il avait lui-même posé pour l'artiste l'année précédente.
¤ Louis XIV (1638 – 1715) fut Roi de France de 1643 à 1715. Ayant connu les troubles de la Fronde durant son enfance, il chercha durant tout son règne à maintenir l'unité du royaume et à écraser les velléités de pouvoir de la noblesse. En 1661, à la mort de Mazarin, il débute un règne brillant, exerçant un pouvoir absolu mais en sachant s'entourer de gens fidèles. Le monarque assura un brillante politique culturelle (Molière, Lully, Lebrun…) dont l'aboutissement est le château de Versailles. En effet dès son enfance, lors de son éducation, il n'est pas un élève très travailleur mais suivant l'exemple du grand collectionneur d'art qu'était Mazarin, il se montre très sensible à la peinture, l'architecture, la musique et surtout la danse. Après l'arrestation de Fouquet, suite à la fête du 25 août 1661, le roi semble vouloir imiter sa vie fastueuse et se comporte dès lors en grand mécène et patron des arts en finançant les grandes figures culturelles de l'époque.
¤ Ce portrait fut tellement apprécié par le Roi, qu'il décida de le conserver et demanda à Rigaud d'en faire une copie pour le Roi d'Espagne. Il en fut fait un grand nombre de copies, consacrant le tableau en véritable portrait officiel. Le portrait laisse place à la représentation. Dans un dictionnaire du 17e, on définit la représentation comme une "image qui nous remet en idée et en la mémoire des objets absents" ou "remplacer quelqu'un".
¤ Exposé au salon de 1702. Le Mercure Galant (journal fondé en 1672 qui donnait toutes les nouvelles mondaines) en février de la même année écrit à ce sujet : "On a exposé le Portrait du Roy dans le grand Appartement de Versailles. Il est en pied avec l'Habit Royal. Cet ouvrage est de Mr Rigaud. Jamais portrait n'a été mieux peint ni plus ressemblant. Toute la Cour l'a vu, et Tout l'a admiré. Il faut qu'un Ouvrage soit bien beau et bien parfait pour s'attirer un applaudissement général dans un lieu où le bon goût règne, et où l'on est pas prodigue de louanges […]".
¤ Il fit partie des collections de Louis XIV, demeura ensuite dans les collections royales, avant d'entrer en 1793 au Museum central des arts de la République, futur Musée du Louvre. Il est aujourd'hui toujours conservé au musée du Louvre et une copie remplace l’original à Versailles.
¤ Chaque détail du tableau vise en effet à en faire l'image quintessenciée du pouvoir absolu : noblesse du décor antiquisant, rideau de pourpre, solennité du Roi Soleil vêtu du costume de sacre fleurdelisé.



II – Une mise en scène très étudiée

A / Louis XIV, metteur en scène du pouvoir royal
« Il n’est pas bien nécessaire qu’un prince possède toutes les bonnes qualités,
mais il l’est qu’il paraisse les avoir » - Machiavel, Le prince. –
¤ Conservé à Versailles dans le salon d’Apollon, c'est-à-dire la salle du trône. Elle est donc au centre de l’édifice, lui-même au centre de la France et lieu principal du culte monarchique : assurance que chacun puisse admirer sa personne et surtout rappel de l’étendue de la puissance royale > outil du gouvernement au centre du système absolutiste français.
¤ La pose est étudiée : le Roi est au centre du tableau, il occupe presque tout l'espace. Il porte son regard sur le spectateur, c'est-à-dire son sujet. Il est aussi plus grand que nature (il fait 1m61 dans la réalité) et debout sur l'estrade ce qui participe à la fabrication de la magnificence royale, à l’élévation, voire à la divinisation de sa personne.

¤ Rigaud a alors recourt à des effets théâtraux :
·Le rideau pourpre : couleur de la majesté depuis l’Antiquité. Rigaud était un virtuose des tissus, il affectionnait particulièrement les drapés froissés, les rideaux chatoyants dans des contrastes d'ombres et de lumières, qui révèlent les textures. Evocation d’une scène dans laquelle se laisse timidement deviner le trône. La vie du roi fut une perpétuelle représentation de son Lever (8h) à son Coucher (23h) et cette théâtralisation du pouvoir à Versailles devint une arme du gouvernement afin de domestiquer la noblesse et de glorifier la personne royale.
Il forme aussi un cadre à la personne du Roi avec sa forme de baldaquin. Il renvoie dès lors à l’image d’une chambre, celle du Roi et donc à son palais : Versailles (grandeur de la royauté française). Pour Félibien (Description sommaire du château de Versailles) ce palais s’avère d’ailleurs rayonner sur le monde entier : « la présence du Roi en ce lieu limité, sa demeure est éminemment toute la Terre. ».
·La confusion des styles : la couronne incarnant la majesté est posée sur un simple tabouret. Aussi Louis XIV tient son sceptre à l’envers et s’appuie dessus comme sur une simple canne… On peut alors en tirer deux enseignements : le Roi montre qu’il incarne la majesté et que sa seule présence suffit à magnifier le meuble le plus ordinaire ; et il démontre que lui seul a suffisamment de grandeur pour pouvoir se comporter « sans affectation » en présence des regalia.
·Le pas de danse : Louis XIV fut un excellent danseur tout au long de sa jeunesse. Néanmoins, en 1701, le Roi entame sa 63e année. Son visage est alors celui d’un vieil homme, il vieillit voir se momifie : on parle de l'embaumement du roi dans ses dernières années à Versailles, le roi ne se montre presque plus à la cour et presque jamais à Paris, il reste enfermé avec son épouse et devient confie de moralité et ombrageux. Il n’y a aucune concession d’âge ici. L’œuvre exhibe cependant des jambes de danseurs et au-delà d’un excès de coquetterie il faut ici distinguer les 2 corps du Roi, ce qui est nouveau dans les 20 dernières années de son règne : le Roi physique, réel (vieux > visage) et le Roi symbolique, imaginaire, immortel qui assure la continuité de l’Etat (« Le Roi est mort vive le Roi »). Ce dernier corps prenant le dessus à la fin de sa vie. Au-delà de la nostalgie de sa jeunesse il faut y voir un dogme de la politique française : « les Rois ne meurent jamais ». N’oublions pas que « L’Etat c’est moi ! » (roi meurt, Etat meurt) n’a jamais été prononcé mais que ses derniers mots furent « Je m’en vais mais l’Etat demeurera toujours ».
¤ Pourquoi cette mise en scène ? Le Grand Roi y répond lui-même : « les peuples […] se plaisent aux spectacles. Par là, nous tenons leurs esprits et leurs cœurs ». Ce tableau à travers cette mise en scène est donc une arme politique qui donne au monarque un pouvoir sur les esprits, composante importante de l’absolutisme. L'absolu se montre et se signifie dans la vérité monumentale de sa gloire éclatante, ici mise en scène.
¤ Par rapport à cette théâtralité on peut concevoir Louis XIV se représentant lui-même comme il jouait délibérément le rôle d'un roi. A ce sujet un noble italien ayant fait partit de la cour vers 1670 explique dans ses Mémoires que lorsque le roi était dans sa chambre avec peu de courtisans, il perdait sa gravité mais si la porte de la chambre s'ouvrait "il composait aussitôt son attitude et prenait une autre expression de figure, comme s'il devait paraître sur un théâtre".
¤ Le Roi disposait-il de pouvoirs étendus habilement mis en scènes ou avait-elle le rôle de dissimuler une impuissance politique ?

B / La concentration des pouvoirs dans la personne du roi : "Tout l'Etat est en lui" – Bossuet
¤ Le Roi en costume royal, portant les regalia, instruments du sacre (remis par l’archevêque de Reims le 16 juin 1654, 16 ans), et symboles de ses pouvoirs est une figure récurrente du Roi de France. Depuis François Ier, ils se sont tous faits représentés ainsi. Cela permit à Louis XIV d'afficher la tripartition des pouvoirs : le Roi de guerre, de justice et de gloire.
¤ Le pouvoir exécutif :
·Le sceptre : symbole du pouvoir de vie et de mort du Roi, prolongement de la main droite (de l'action, de l'exécution) du Roi, il donne le chemin à suivre.
·L'épée : la "Joyeuse", rappel le statut de chef des armées, de combattant pour la gloire de Dieu du Roi. Il en est son bras armé devant protéger les fidèles en garantissant la justice.
¤ Le pouvoir législatif :
·L'or et le pourpre : privilège rare qui nécessitait une autorisation pour porter une tenue brodée d'or ou d'argent. L'or sur le costume de sacre rappelait à tous que le Roi agit "selon son bon plaisir" et qu'il est au dessus des lois. Le monarque, source de tout privilège, est source de toute loi ("c'est légal parce que je le veux").
¤ Le pouvoir judiciaire :
·La main de justice : la justice royale, toute justice en France est rendue par le Roi.
·Le bas relief : déesse Thémis, fille d'Ouranos et de Gaïa, prodiguant à Zeus des conseils avisés. Allégorie de la justice (balance dans sa main), incarne l'ordre établi (épée dans l'autre main). Fonction d'arbitre du Roi.
¤ On peut également y voir la supériorité d'un Roi par rapport à son royaume :
·La couronne : fermée sur le modèle impérial depuis François 1er. Ni l'Empereur, ni le pape n'avaient autorité sur le Roi de France. Elle montre que le roi est empereur en son royaume et le peuple y doit fidélité.
·La perruque et les talons rouges : traduit physiquement cette supériorité. Autre pouvoir du monarque : celui de lancer les modes.
¤ Ces tableaux sont reproduits à plusieurs exemplaires et sont offerts aux alliés ou déposés dans les ambassades. A ce titre, le rapprochement avec les photos officielles des présidents peut être fait. Ce média est par ailleurs très important car les reproductions amplifiaient la visibilité du roi.
Mais le portrait du Roi, accroché dans la salle du trône de Versailles possède le caractère sacré de son modèle. Il est traité comme s'il était un substitue du roi. Lui tourner le dos est un délit au même titre que tourner le dos à la personne du Roi.

C / Le roi de France, monarque de droit divin
"La toute puissance vient de Dieu. Les princes agissent donc comme ministres de
Dieu et comme ses lieutenants sur Terre. C'est par eux que Dieu exerce son
empire. C'est pour cela que le trône royal n'est pas le trône d'un homme mais le
trône de Dieu même. Il ressort de tout cela que la personne des rois est sacrée,
et qu'attenter sur eux, c'est un sacrilège. On doit obéir au Prince par principe
de religion et de conscience" – Bossuet (précepteur du roi de 1670 à 1679),
Politique tirée des propres paroles de l'Ecriture Sainte, 1709 –
¤ Le Roi disposait de tous les pouvoirs. Il fallait que sa légitimité soit forte pour lui assurer une telle concentration de pouvoirs. Des détails rappellent donc l'origine de son pouvoir absolue qui lui fut donné par Dieu, dont il était le fidèle lieutenant sur Terre le jour du sacre (il y reçoit l'onction sacrée, il est nommé par Dieu en ce jour) :
·Le collier de l'ordre du Saint Esprit : distinction la plus élevée de la Cour de France depuis Henri III. Le Saint Esprit garantissait au Roi le suivi d'une politique sage et réfléchie. La colombe renvoie à la cérémonie du sacre au cours de laquelle elle descend symboliquement du ciel pour la Sainte Onction. Le roi devenait l'"oint du seigneur", sacré et donc inviolable.
·L'épée : posée sur l'autel lors de la cérémonie, elle était prise par le Roi, considéré ainsi comme recevant son pouvoir de Dieu. Sa forme de croix rappelle les devoirs de chrétien de son porteur ; et sa longueur son obligation à se tenir à distance du diable.
·La fleur de lys : elle symbolisait la Sainte Vierge avant d'entrer dans les armoiries de la monarchie française sous Louis VII. Ses 3 pétales peuvent être reliées à la Trinité.
·Le sceptre : Rappel la Pentecôte (50 jours après Pâques, descente de l'Esprit Saint sur les apôtres). Comme les patriarches de l'Ancien Testament, celui qui porte ce bâton est désigné par Dieu pour guider le peuple. Le roi guide donc l'ensemble de ses sujets au cour de son règne.
·La main de justice : elle se compose d'un bâton d'or et d'un main en ivoire. Cette main symbolise la bénédiction du roi sur ses sujets. Chaque doigt représente un symbole :
Ø Le pouce : Dieu, la divinité.
Ø L'index : la Raison (la ratio, séparant l'Homme de l'animal).
Ø Le majeur : la Charité.
Ø Les deux autres : repliés, représentent la Foi et la Pénitence.
¤ Ces symboles présents lors de la cérémonie du sacre, sont là pour montrer les principales fonctions royales au point de vue liturgique.
¤ Tous ces détails rappellent que Louis XIV tirait son pouvoir de Dieu et qu'à ce titre il était absolu et incontestable.


III - Un tableau moderne

A / Mélange de réalisme et d’idéalisation
¤ Ce portrait d’apparat emblématique est aussi un portrait mélancolique, tourné vers le passé. Le tableau est donc moins traditionnel qu'il peut en donner l'impression. C'est un habile compromis entre des tendances opposées.
¤ Le visage est celui d'un homme âgé, aux yeux fatigués et à la bouche affaissée (extraction des dents supérieures en 1685). Le Roi n'est pas immortel, il vieillit et sa longévité devient même un élément de sa grandeur. Son visage est grave, le sourire est proscrit mais il s’efforce de donner à son visage empâté le port de tête du danseur solaire qu’il fut.
¤ Le poids des ans paraît par contre épargner le corps du monarque. Alors que dans la réalité le Roi souffre de la goutte et de bien d'autres maladies, le tableau donne l'image d'un corps jeune, aux jambes élégantes, esquissant un pas de ballet, nostalgie du temps où Louis dansait en brillant mécène au zénith d’une cour nouvelle.
¤ Il y a un équilibre entre solennité et décontraction. Le roi porte les habits de couronnement, avec ses attributs royaux (couronne, épée, sceptre), symboles de son pouvoir. Mais Louis XIV se voulait aussi être un monarque moderne suivants les critères en rigueurs à l'époque, il est premier gentilhomme du royaume et a une décontraction étudiée. Le sceptre est tenu à la manière d'une canne, pointe vers le bas comme celle qu'il tenait en public (on peut y voir une allusion au portrait de Van Dyck de Charles 1er, où le roi fait un geste du même type avec sa canne) ; le Roi porte l'épée de Charlemagne comme une épée ordinaire et seul la garde est visible ; et la main de justice est posée discrètement sur une chaise, aux côtés de la couronne.
¤ Le manteau de sacre est ouvert et laisse voir des vêtements modernes pour l'époque. Cette représentation est éloignée de la tradition médiévale du Roi en majesté sur son trône donne l'image d'un souverain moderne. Le traitement des étoffes est particulièrement raffiné et rappel la grandeur du règne du Roi.
¤ L’atelier du peintre a dû intervenir sur certaines parties de ce tableau mais le visage a été étudié avec réalisme et noblesse par Rigaud lui-même (visage peint sur un papier marouflé sur la toile définitive). Le Roi porte légèrement sa dignité, tout en paraissant (comme l'écrit un ambassadeur vénitien en 1699) "majestueux dans son aspect […] objet de crainte et de respect pour tout le monde".
¤ Rigaud, peintre attitré du Roi, a su savamment concilier gloire rêvée et déchéance réelle. Ce mélange de mythologie et de réalisme pourrai renvoyer à une notion de la monarchie française depuis le Moyen Age, celle des deux corps du Roi : le Roi symbolique (digne, incorruptible, éternel et sacré) et le Roi physique/individuel (mortel, humain, sujet de toutes les misères et des passions de la nature).Cela peut aussi se référer à deux moments de la course de l’astre solaire : l’aurore et le crépuscule. En effet, en 1701 le Roi a 63 ans, il est meurtri par la goutte et a perdu beaucoup de charisme sous le poids des déconvenues, le Roi ne danse plus, il prie.

B / Un portrait d'apparat au siècle de la représentation
¤ Le XVIIe français est source de diverses productions philosophiques, littéraires et artistiques. Il s'est alors lui-même considéré comme le siècle de la représentation. Par la même il y a une théorie générale et raisonnée du signe et du discours qui se met en place et les œuvres peintes tournent nécessairement autour de cette notion centrale de la représentation. En même temps le 17e est le siècle de Louis XIV où le pouvoir d'état se construit et se pense dans "le modèle français de l'absolutisme" (Mandrou, historien).
La représentation a alors ici pour effet de produire un sujet historique et un sujet qui fait l'histoire. Le roi, référent réel, devient dès lors dans le portrait un symbole (son nom) et une chose imaginaire (son effigie).
Le portrait en tant que genre à part entière est mal connu pour la première moitié du règne de Louis XIV. On a cependant une abondance de gravures et d’effigies d’artistes.
¤ Le portrait est souvent un message personnel destiné à un ou peu de spectateurs. Mais beaucoup sont destinés à un large public, peints pour dominer la pièce et s'adresser à la foule.
¤ Le portrait "d'apparat" proclame la grandeur d'un modèle et sa supériorité. En plus d'attirer l'attention, la taille même de ces portraits exige un décor grandiose et sont destinés à des salles publiques.
¤ Certains artistes ont tentés d'assouplir les normes du portrait d'apparat. Ainsi Van Dyck, peint le roi Charles Ier sans signe évident de sa royauté : il porte un costume de chasse à l'élégance aristocratique et il est arrêté au seuil de la forêt sans doute pour regarder le paysage…
Même si à bien y regarder, le code relatif à la royauté sont présents : main sur la hanche, épée, bâton de commandement…
Alors que Philippe de Champaigne visait surtout à exprimer le caractère de son modèle en peignant Richelieu, ici Rigaud vise à mettre en valeur la fonction et la puissance de Roi-Soleil.
¤ On a ici un art du portrait où l'image est un précieux instrument du pouvoir. Le portrait du roi c'est précisément donner figure à l'"irreprésentable".

Conclusion
¤ Drapé de son costume royal, le monarque absolu nous domine du haut des 3m de son portrait d'apparat. La pompe de la représentation correspond à une exaltation de la nature et des pratiques du pouvoir absolu.
¤ L'image que renvoie le roi importe donc davantage que sa présence physique, puisque ordonner "au nom du roi" suffit pour se faire obéir. C'est l'effigie qu'on adore et non plus la personne privée.
Dans la dernière partie de son règne l'image du corps symbolique du roi se glisse entre ce dernier et ses sujets : le monarque n'est plus au milieu de ses sujets, il lui est représenté.
¤ Le tableau ne cherche pas à dépeindre le portrait d'un homme âgé, mais à figer le roi pour l'éternité.
Le tableau est exposé au salon de 1702 et dépasse vite les limites de la cour et survit à l'Ancien Régime. Il est devenu une référence de la monarchie absolue.
Avec la "liberté guidant le peuple de Delacroix", c'est le tableau le plus reproduit dans les livres d'Histoire, cela est donc une icône nationale admise comme telle depuis sa création.




BIBLIOGRAPHIE : 
¤ APOSTOLIDES (J.-M.), Le roi-machine – spectacle et politique au temps de Louis XIV, les éditions de minuit.
¤ BURKE (P.), Louis XIV – les stratégies de la gloire, Point Histoire.
¤ MARIN (L.), Le portrait du roi, Paris, Minuit, 1974.
¤ PERRAU (S.), Hyacinthe Rigaud, le peintre des rois, Les presses du Languedoc, Montpellier, 2004.
¤ SCHNEIDER (N.), L'art du portrait, Taschen, 2002.
¤ TOMAN (R.), L'art baroque, Hf – Ullmann, 2007.
¤ www.chateauversailles.fr > ressources documentaires.