Louis de Mornay, Portrait de Françoise Scarron, 1651, Salle à manger du château du Haut, domaine de Villarceaux, Chaussy, Val-d'Oise, France.
Lettre LVII, Madame Scarron à Ninon de Lenclos, Paris, la 2 juillet 1651
Vengez-moi, secourez-moi ; ma chère Ninon...Villarceaux, je l'aurais offert pour modèle à son sexe... Qui l'aurait cru ? C'est un monstre, il ose m'outrager, m'avilir. Son crime est tel, que ma plume ose à peine le peindre. Qui peut-on estimer à présent sur la terre ? Personne, non, personne ; tous les hommes sont les mêmes, et malheureuse est celle qui croit pouvoir en distinguer un seul. Vous même, vous qui jugez votre ami avec plus d'indulgence, vous allez frémir en écoutant le détail de son atrocité. J'ignore par quelle affreuse adresse il a pu réussir à me faire peindre à mon insu, mais enfin mon portrait est en son pouvoir, et peu content de cette trahison, il a cru que mes traits seuls ne suffiraient pas ; pour consommer son ouvrage, (l'avourai-je sans rougir ?), ma personne entière est sous ses yeux ; le peintre a supposé le moment où je sors du bain, son pinceau trop hardi, suivant l’imagination criminelle de Villarceaux, m'a peinte dans une attitude qui blesse la pudeur. Suis-je assez payée d'avoir souffert les assiduités de cet homme sans principes ? Cet instant m'apprend à le connaître. Combien de fautes il réunit en une seule ! Par combien de coups sensibles il fait blesser mon coeur ! Rien, non, rien ne l'excuse.... Encore s'il se fut contenté de mes traits ; ce tort eut été des plus graves ; enfin l'effervescence d'une passion invincible peut porter à cet égarement ; mais l'oubli de toutes les bienséances, mais outrager à la fois le Ciel, la décence, et l'objet que l'on prétend aimer,... mêler des idées de volupté à ce crime, qui, (je le répète, serait plus excusable si l'Amour pur l'avait fait commettre) c'est vouloir être haï. Le cruel ! Que lui ai-je fais ? Ai-je mérité d'être si peu respectée,...Et d'ailleurs, quel usage prétend-t-il faire de ce portrait ? Son honnêteté me répond qu'il lui servira à me compromettre. Veut-il donc en mon absence lui adresser des voeux, des discours emportés que ma prudence et ma sagesse regrettent sans cesse ? Faut-il que l'image de la personne la plus pure soit en bute aux égarements, aux délires d'un amant si peu délicat, dont rien ne peut calmer les transports ? Toutes mes instances ont été inutiles : nulle puissance humaine, ma-t-il dit, ne peut lui arracher ce portrait. Quel parti me reste-t-il ? C'est à vous seule que je m'adresse, vous seule avez du crédit sur son esprit;...De grâce ayez pitié de l'état où je suis, il ne tient qu'à vous de me rendre la tranquillité. Obtenez de Villarceaux de vous rapporter ce portrait ; dites lui que je fais l'effort d'oublier son crime, s'il m'obéit ; dites lui même qu'il me prouvera plus son sentiment par une prompte soumission, que par une réticence plus longue, qu'il faut peut-être excuser jusqu'ici, puisqu'il assure que sa tendresse seule en est le motif. Ah ! Que je voudrai le croire ! Cette pensée rendrait son crime moins humiliant pour moi. Vous, en qui j'ai tant de confiance, n'êtes vous pas de mon avis ? N'est-il pas vrai ? Si j'étais bien sûre que l'excès seul de sa sensibilité le portât à garder ce portrait, ne vous paraîtrait-il pas plus excusable ?... Mais, non, je m'égare, je ne sais plus ce que je dis... Ne perdez pas un instant, je suis vraiment trop malheureuse.
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