mercredi 30 avril 2008

Dossier historique : Edit portant règlement pour la nourriture et l'entretient des pauvres de la Ville et faubourgs de Paris (1547).


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© Eosclio

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> Cette étude est basée sur un édit, c'est-à-dire un acte législatif émanant du roi, datant de 1547. Il fut donc dicté par le roi Henri II (1519-1559) qui règne à partir de cette date, succédant alors à François Ier (1494-1547), à Saint-Germain-en-Laye (château des rois de France à cette époque) le 9 juillet 1547. Notons que ce texte est tiré d'un recueil, Recueil général des anciennes lois françaises, publié en 1828 par Isambert (1792-1857), juriste et érudit du XIXè siècle qui a entreprit comme nombreux de ses collègues (entre autres Pierre Néron, Etienne Girard…) de publier un recueil d'actes royaux.
> L'écriture de ce texte se fit durant la période humaniste, une philosophie qui met l'Homme et les valeurs au dessus de tout. Il y a donc une modification des modèles de vie. Les Humanistes prônent en effet pour une vulgarisation des savoirs y compris le savoir religieux: la Parole Divine doit être accessible à toute personne quelqu’en soit l'origine, le langage (traduction de la Bible par Erasme en 1516) ou la catégorie sociale.
L'Humanisme est basé sur le respect des Droits Fondamentaux de l'être humain, cependant cette période voit en la pauvreté un handicap au développement harmonieux de l'Homme et tente donc d'y remédier.
> La civilisation médiévale a laissée des institutions d'assistance (hôpitaux, aumônes, "donnes"…) assurées par des laïques ou des couvents, mais se développe un courant dans lequel le pauvre est un danger pour la société et la pauvreté une malédiction. Le pauvre colporte l'hérésie, peut être un espion du camp adverse, un vecteur de la peste et dans un bouleversement social il n'a rien à perdre. Il est donc nécessaire que la prise en charge soit à la fois une responsabilité individuelle et collective mais aussi une assistance hospitalière et un secours dans la rue.
> Ce texte nous informe des dispositions instaurées au XVIè siècle par le roi, donc l'Etat, pour remédier à l'aggravation de la pauvreté et les différences de traitement qu'il faut appliquer que l'on soit pauvre, mendiant, homme, femme, enfant,vieillard, valide ou invalide.
> Qu'est ce qui est donc mis en place face à l'affluence et la multiplication des pauvres, mendiants et vagabonds dans les villes et plus particulièrement ici, à Paris?
> La pauvreté est omniprésente et inévitable en raison de l'ordre social et économique (crises de subsistance ou accidents de la vie). Une partie de la population est donc amenée à la pauvreté et il est presque impossible d'en sortir car l'ascension sociale est très difficile. Ce fléau est cependant compensé par l'assistance publique; il est alors possible de parler de "Ville-providence" comme l'on parle aujourd'hui d'"Etat-providence" même si les mendiants sont exclus de ce système.


L'état de pauvreté.


La pauvreté et les causes de la hausse de celle-ci.

Au XVIè siècle, seuls les privilégiés ont la certitude du lendemain. La vie de la plupart des citadins est précaire: les emplois sont irréguliers, la population est très sensible aux variations de l'économie, aux crises de subsistance et d'emplois. Une forte paupérisation se met donc en place, c'est-à-dire un abaissement du niveau de vie avec l'appauvrissement d'une classe sociale.
Un grand nombre facteurs et pire encore l'accumulation de ceux-ci est la cause de l'appauvrissement de la population. En 1530, la moisson fut très médiocre ce qui entraîna une hausse des prix du grain et donc une cherté; notons également que la peste se développa l'année suivante en 1531. Ces deux facteurs ont été déterminant dans la hausse du nombre de pauvres car ceux-ci n'avaient plus de quoi acheter du grain et ne pouvaient pas se soigner d'où une aggravation de la misère.
Un changement démographique en est également la cause. En effet, à cette époque, Paris a connu une hausse de sa population en raison d'un apport migratoire: cela concernait en majorité des jeunes de moins de 25 ans qui se sont mis à occuper les postes les moins qualifiés ou à se faire "gagnent-deniers", c'est-à-dire à travailler à la journée. Se pose alors le problème du chômage, il peut être épisodique pour les individus faisant parti des corporations (associations d'artisans) mais est permanent pour les autres: les moins qualifiés sont les plus vulnérables.
Il va également sans dire que vu les problèmes économiques de l'époque les salaires ont chutés progressivement : en effet à Paris en 1500 le salaire journalier d'un employé dans le bâtiment était de 0,12 setiers (mesure de capacité pour le grain) de froment alors qu'il n'est plus que de 0,06 en 1660.
La population pauvre est très difficile à dénombrer car elle est très mobile et sensible aux variations économiques. Les pauvres représentent une grande partie du menu peuple, constitué principalement de paysans, mendiants et vagabonds. Ils sont valides ou non, sans ouvrage ou trop épisodiquement employés. Ils ne peuvent pas subvenir seuls à leurs besoins élémentaires et vivent donc d'aumônes, et fréquemment grâce à l'aide des Hôtels-Dieu.
Notons qu'au XVIè siècle, un salarié en plein emplois utilise 4/5 de son revenu pour se nourrir et 1/10 pour son loyer; il ne reste donc plus beaucoup à celui-ci pour les vêtements, les loisirs, les enfants et l'épargne. L'apparition du chômage gagne donc la société, l'argent manque, ce qui conduit à une hausse de la misère et de l'endettement.


Les différentes catégories de pauvres. La société française du XVIè siècle distingue deux types de pauvres: les "vrais" pauvres et les "faux"
pauvres. Les premiers sont perçus comme une image, un membre souffrant de Jésus Christ sur Terre, il est donc incapable de travailler et doit vivre de la charité. Les "faux" pauvres quant à eux sont considérés comme des oisifs qui mendient ce qui est vu comme un mauvais exemple aux yeux de la société.
Il existe aussi des pauvres dits "conjoncturels" et des pauvres "structurels". Les pauvres "conjoncturels" sont en fait des chômeurs ou des familles nombreuses pendant l'hiver par exemple, qui alternent autosuffisance et pauvreté. Quant aux pauvres "structurels", ce sont des infirmes, des veuves, des vieillards, etc., qui ont besoin d'un secours continuel. La frontière entre ces deux catégories peut être franchie dans les deux sens, ce qui sera déterminé par l'état du marché du travail et de l'économie.


L'évolution du regard porté sur les pauvres.
Au Moyen Age, il existe deux visions sur le pauvre: d'une part c'est un membre souffrant du Christ sur Terre,
il est un idéal de dépouillement et d'ascèse; mais d'autre part, la pauvreté est vu comme une perdition et les pauvres comme des êtres potentiellement dangereux: "cause d'un grand mal et désordre et d'un présent inconvénient de pestes et de maladies". Au XVIè siècle, c'est la deuxième vision qui l'emporte car pour l'humaniste la pauvreté dégrade et rabaisse l'Homme au niveau des animaux et l'empêche donc de s'accomplir.
Notons qu'il a eu une évolution manifeste dans l'attitude des autorités municipales: en effet, il s'agissait avant d'actions ponctuelles contre les pauvreté notamment par des distributions de pain, taxation ou blocage des prix; alors qu'ensuite les pauvres ont du mériter les aumônes d'où la création d'ateliers de charité.
Il existe également un double regard de la société face à l'assistance aux pauvres. Il faut en effet les secourir que ça soit spirituellement ou physiquement, et les contrôler en appliquant des mesures de quarantaine par exemple, afin de protéger la société.
Il faut tout de même insister sur le fait que les mendiants sont indispensables aux élites. En effet, à travers la charité ils permettent le salut de la ville ainsi que la Grâce Divine.
Enfin naît l'idée que l'assistance doit être prise en main par les magistrats des villes (fonctionnaires de l'ordre judiciaire) dont le devoir est de faire disparaître la pauvreté: "ordonnons aux prévôts et échevins de notre dite ville de Paris". Il s'agit donc à la fois d'ordre public, d'hygiène et de réforme sociale.



L'assistance aux pauvres…


Les précurseurs de l'assistance publique: l'expérience lyonnaise (1534).
Au début des années 1530, la ville de Lyon connu une cherté: 7 000 à 8 000 personnes envahirent dès lors
les rues et commencèrent à y mourir. Les notables et consulats décidèrent alors d'organiser des distributions de vivres, c'est la première ébauche de l'Aumône Générale. Les Hommes sont capables de travailler mais n'arrivent pas à gagner leur vie, faute de chômage: la charité chrétienne ne suffit plus, et il faut ajouter à cela des risques d'émeutes et de contagion pesteuse. Ajoutons qu'en mai 1531, des conseillers lyonnais entreprennent d'organiser une distribution gratuite de pain dont les recettes ont été fournies par des dons de particuliers.
En 1534, Lyon fonde l'Aumône Générale. Celle-ci a son propre moulin, sa boulangerie et elle distribue du pain en temps de disette aux pauvres et en temps ordinaires aux invalides, malades, veuves et orphelins. Les enfants sont placés en apprentissage chez des marchands ou comme domestique par exemple, et les adultes valides sont employés à curer les fossés ou à nettoyer les rues.
Lyon a également mis en place des badeaux ou "chasses-coquins" qui sont chargés d'expulser les indésirables. L'expérience lyonnaise est dès lors considérée comme "une charité organisée, sélective, collective, permanente et laïque" et est suivie de près par d'autres grandes villes comme Paris ou Strasbourg même s'il existait déjà dans ces villes un aumône (Strasbourg dès 1523, Lille dès 1527 et Paris dès 1530), mais celui-ci n'était ni organisé ni régulier.


La mise en place d'institutions capables de s'occuper de ce fléau.
Les pauvres doivent bénéficier d'une assistance afin de maintenir la paix sociale mais aussi car c'est une
préoccupation religieuse (image du Christ souffrant).
Il existe deux formes d'assistance: il s'agit soit d'aumône qui ne concerne que les domiciliés de la ville, soit il s'agit d'un accueil des nécessiteux dans des maisons spécialisées; quoi qu'il en soit l'assistance est financée par des dons ou un impôt prélevé sur les habitants: "une taille et collecte particulière sur un chacun des habitants de ladite ville".
Au XVIè siècle, les grandes villes décidèrent de réformer les hôpitaux hérités du Moyen-Age qui sont en mauvais état et mal utilisés. S'en suit donc une laïcisation des hôpitaux,, le but étant de créer une institution de charité et d'assistance d'où la création de maisons d'assistance spécialisées dans certaines villes à partir ce ces anciens hôpitaux (plus utilisés pour les orphelins et les vieillards). Ces maisons d'assistance qui s'apparentent plus à des hôpitaux de soins ou asiles sont nommés Hôtels-Dieu; soutenus par l'Etat, ils sont contrôlés par l'Eglise qui fournit la presque totalité du personnel.
En 1530 à Paris naît ce qui deviendra en 1544 le "Grand Bureau des pauvres" où l'on enferme dans l'hôpital Saint Germain les "vieils et décrépis, et autres pauvres incorrigibles ou invalides et impotents". Ce bureau des pauvres recense également les démunis en établissant des listes des assistés, centralise les ressources et fait des distributions régulières.
Sont également créés des ateliers de charité qui emploient les chômeurs contre rémunération. Ce sont en fait des travaux à utilité publique comme l'aménagement des routes par exemple.


Une assistance différente selon le type de pauvreté. "Savoir faisant, que nous désirant pourvoir et subvenir aux vrais pauvres malades qui sont dignes de l'aumône,
et aux valides ôter toute occasion d'oisiveté et leur donner moyen de gagner leur vie.".
Selon le type et degré de pauvreté, l'assistance ne sera pas la même: "distribués auxdits pauvres mendiants
selon le rôle que d'iceux en avait été fait" Seuls les invalides reçoivent en permanence une assistance, pour les autres elle est provisoire jusqu'à ce que l'individu en question trouve un travail. Les pauvres valides quant à eux sont assimilés à un travail directement à travers les ateliers de charité: "qu'aux mendiants valides n'était donné le droit de travailler",
Les pauvres aux ressources insuffisantes sont eux assistés selon la période de l'année. Le secours se fait alors en argent ou en nature à travers la distribution de pain par les bureaux des pauvres.
Les enfants abandonnés et les malades sont quant à eux placés dans les Hôtels-Dieu qui sont réservés aux pauvres curables: on les y soignent gratuitement et la nourriture est abondante: "ordonnons qu'ils soient nourris, secourus et entretenus par les paroissiens".
Notons également que les pauvres peuvent s'en référer aux paroisses et que si celle-ci venaient à manquer les autres l'aideraient à combler ce manque: "nous voulons et ordonnons que les prochaines paroisses, chapitres, collèges et autres communautés d'icelle ville et faubourgs, qui auront deniers bons et seront puissants de leur faire subvention, en aident et secourent lesdites paroisses par trop chargées de pauvres".
Enfin apparaît l'idée qu'il faut séparer les pauvres du reste de la société. Il est donc proposé des les déporter dans des colonies mais la France ignore encore à cette époque les méthodes d'internement. Il est donc manifeste qu'il faut trouver une solution pour remédier à cette situation car tout les pauvres ne peuvent pas être aidés faute de moyens.



…et l'exclusion des mendiants.


La mendicité, un phénomène jugé dangereux,…
Même s'il existe une assistance, les mendiants sont de plus en plus nombreux et se regroupent dans des
quartiers, on les qualifies dès lors de "mendiants-vagabonds". Ces regroupements plaisent de moins en moins à la population qui recherche donc de plus en plus à les exclure.
De plus en plus d'élites pensent que le pauvre est un danger car il peut être diffuseur d'hérésie, vecteur d'épidémies, responsable d'émeute et de bien d'autres méfaits néfastes à la société du XVIè siècle.
L'idée que les mendiants doivent être totalement exclu de la société apparaît. On pense donc à des asiles, prisons ou encore à des lieux de réforme morale, qui sont des lieux où des ecclésiastiques sont chargés d'apprendre aux pensionnaires leurs devoirs de chrétiens. Il existe également, et c'est le plus courant, l'idée de les expulser physiquement de la ville.


…rendu interdit,…
La mendicité et l'aumône manuel sont devenu interdites par édit, et sont partout pourchassés et
criminalisés: "ne plus quêter, mendier ou demander l'aumône par les rues". Les mendiants sont alors pourchassés, arrêtés et enfermés dans des établissements ou sont forcés au travail.
La seule occasion ou la mendicité est autorisée est à la sortie de l'église lors d'aumônes organisés par l'Eglise elle-même pour le salut des âmes de la population à travers la charité.


…et régulé par la création des "chasses gueux". Avec l'augmentation de la population mendiante et vagabonde la ville de Paris s'est dotée de
"chasses-gueux" dont le rôle était de faire disparaître la mendicité.
Leur rôle était donc de refouler aux portes de la ville les mendiants et les vagabonds mais aussi les "estrangers" sous peine de coups de fouet.
Cependant les enfermements et chasses des mendiant ont un revers de médaille. En effet cela ne sera en grande partie qu'un échec étant donné que seule une petite partie est concernée faute de locaux et effectif. De plus les villes ont répugnés le fait dépenser pour des mendiants issus pour la plupart des campagnes et les arrestations furent très impopulaires chez les gens du peuple (début de sédition, fuites…).
La mendicité est donc permanente et les villes doivent s'organiser avec.



Conclusion: C'est donc à cause de grands changements dans l'économie et dans les mentalités que l'accroissement de la population pauvre s'opère. En effet ce sont entre autres facteurs, le manque de nourriture ("y est afflué si grand nombre de pauvres que les aumônes triplées n'eussent pu fournir à leur nourriture et sustentation"), le développement des épidémies et le fait que la société éprouve dorénavant du mépris à leur égard qui ont grandis le nombre de miséreux.
Notons qu'avec l'assistance on a même soupçonné les élites d'avoir voulu se procurer une main d'œuvre bon marché tout en étouffant les risques d'émeute, ce qui serait le prélude au "Grand enfermement".
Il existe plusieurs degrés de pauvreté et une différence de traitement entre les différents pauvres. Certaines institutions sont mises en place et très largement suivies par les autres grandes villes telle que Strasbourg ou encore Tours et Poitiers. Le problème de l'entretient des pauvres de Paris est qu'elle attire les mendiants et vagabonds des campagnes qui envahissent les rues de la capitale au grand désespoirs de la population. Il faut alors prendre des mesures: certains seront aidés par les Hôtels-Dieu mais la plupart seront reconduits aux portes de la ville.
Paris est donc un exemple en ce qui concerne l'assistance publique mais la pauvreté est un fléau qui ne cesse de s'accroître et la capitale doit apprendre à vivre avec.
Le XVIè siècle est l'ébauche de l'assistance publique mais elle s'amplifia d'autant plus au XVIIIè siècle où l'assistance fut conjuguée avec l'instruction. L'Etat tenta de contrôler davantage l'assistance, mais sans l'Eglise "il n'y aurait pas d'assistance publique. Le clergé fournit la presque totalité du personnel des Hôtels-Dieu et des hôpitaux généraux" (J. de Viguerie). Ce fut à cette époque qu'apparurent notamment les filles de la charité (ou sœur de Saint Vincent de Paul) et les maisons de charité dans les bourgs et villages (appelés aussi "Providences" ou "bouillons des pauvres".).








© Eosclio

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